Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même, pour vous revoir, qu’elle soit arrivée à destination. Alors, et quand nous saurons votre corrupteur en sûreté, nous en reparlerons.

Mots bénins, voix affectueuse, ton paternel, rien ne manqua sans doute à cette grimace d’attrape-mi non… Si monstrueux que puisse nous paraître un semblable procédé d’instruction, il n’en fut pas moins employé par cet homme de grand honneur, qui s’appela Joseph Mounier. Mais la morale du magistrat n’est pas l’éthique du philosophe, et la conscience de l’ancien juge royal était demeurée celle d’un robin… On ramena Chausseblanche dans la maison d’arrêt. Là, ses réflexions ne furent ni longues ni indignées ; il demanda de quoi écrire, et rédigea sa lettre délatrice : l’astucieux manège avait réussi.

« Au général Simon. — La Moinerie, — Thorigné-les-Rennes.

« Citoyen, le préfet m’a donné la latitude de prévenir les auteurs des libelles que, quand ils seraient dans un lieu de sûreté, de les déclarer. On a de fort soupçons sur vous. Je vous engage donc de prendre la fuite… Je vous préviens que je ne puis garder le secret plus longtemps. Père d’une nombreuse famille, vous ne voudriez pas que je reste sous le coup qui doit être. dirigé contre moi. Il m’est dur d’être votre dénonciateur ; mais, si vous n’avez pas pris un parti d’ici deux ou trois jours, je révèle toute la vérité au préfet. Salut. »

Le général Simon !… Le chef d’état-major de Bernadotte !…

Très ému, Mounier expédia la lettre sur-le-champ ; puis, au lieu d’agir, il attendit !… Sa conduite devenait fort étrange. Redoutant à Rennes une révolte de la garnison, ce finasseur d’homme à principes laissait à l’accusé toute faculté de fuir et d’aller se faire prendre dans quelque autre département. Plusieurs jours s’écoulèrent, anxieux et sans nouvelles. Enfin, dans l’après-midi du 5 messidor, le préfet ressentit une violente commotion de surprise. Son huissier venait de lui annoncer une troublante visite, coup de théâtre bien déplaisant :… le général Simon.


XVIII. — UN DERNIER ROMAIN

Edouard-François Simon, général de brigade, et longtemps chef de l’état-major à l’armée de l’Ouest, n’avait encore que trente-trois ans. Petit et maigriot avec son front bas et brûlé par