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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/502

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l’histoire, la géographie, et, — oiseau rare, en ce siècle de Lumières, — connaissait l’orthographe… A son réel mérite Edouard Simon joignait une haute probité, une horreur de la rapine, bien méritoire en des jours d’universelle et inconsciente pillerie. Alors que tant de camarades, réputés « vertueux, » s’emplissaient les poches et gonflaient leurs bagages, il avait toujours gardé les mains nettes : pauvre, il était parti pour les batailles et en était revenu plus pauvre encore :… c’était une conscience. Et cependant, de lourdes charges pesaient sur son maigre traitement : sa femme et sa fillette, sa sœur aussi, la citoyenne Rodolphe, qui végétait à Paris, avec cinq enfans ; mais son brave homme de frère nourrissait toute la maisonnée. De plus, beaucoup de tenue, une conduite morale exemplaire. Marié à l’âge de vingt-neuf ans et déjà général, Simon avait épousé une demoiselle Sophie Goulard, la fille d’un patriote tombé en Italie, au champ d’honneur. Le ménage était très uni. La jeune femme, névrosée et maladive, avait le culte de son époux, adorait son balafré jusqu’à l’exaltation. De ce mariage une enfant était née, créature délicate que le père aimait tendrement. Tout semblait donc être bonheur en l’existence modeste de ce très honnête homme. Ses campagnes, ses blessures, son savoir, la dignité de sa vie avaient mérité au général Simon l’estime du soldat comme de l’officier. Populaire autant que respecté, il se pouvait croire le véritable chef de l’armée de l’Ouest…

Oui ; mais, hélas ! ce vaillant, cette conscience, ce très honnête homme était un utopiste qui se compliquait d’un sectaire. Il rêvait d’une République idéale, — non certes, celle d’un Père Duchesne, car il avait failli lui-même être « raccourci » comme officier « belle-cuisse, » — mais d’un Eldorado vertueux, militaire et romain, tout peuplé de Brutus, de Publicola, de Camille, où l’intègre et valeureux Simon aurait pu devenir Fabricius. Le malheureux avait beaucoup trop de belles-lettres !… Et puis, il était franc-maçon, — de cette maçonnerie d’alors, franchement matérialiste et athée. Quel grade le F. Edouard Simon pouvait-il avoir dans les loges ? Assez élevé, sans aucun doute, car divers actes de sa vie semblent indiquer chez cet adepte un ardent faiseur de propagande. Suivant l’usage de son époque, il s’était fabriqué des armoiries démocratiques : l’équerre surmontée du bonnet phrygien et reposant sur deux mains enlacées, des faisceaux d’armes pour supports et, au chef du blason,