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quarante-huit heures, étapes doublées, cantonnement hors des remparts de Brest ; on avait peur qu’il ne contaminât la ville.

Fort contrarié, même inquiet, le général Delaborde fit appeler aussitôt le chef de la 82e, et lui enjoignit de se préparer à partir. Le colonel se retira, navré… Bien qu’à la date du 26 juin Chausseblanche ne l’eût pas accusé encore, Pinoteau, depuis l’arrestation de son ami Simon, avait perdu toute volonté. Sans formuler la moindre observation, il courut au quartier Saint-Cyr, et convoqua ses officiers.

Déjà le bruit s’était répandu en ville qu’on allait « transporter » la 82e : le Corse la détestait et la voulait anéantir. Commandans, capitaines, lieutenans, — beaucoup d’entre eux étaient mariés, — accoururent à la caserne et entourèrent leur colonel. En proie à une colère désespérée, ils l’interpellaient et réclamaient des explications. Pinoteau s’efforçait en vain de les calmer ; mais des imprécations lui coupaient la parole.

— Pourquoi cette émotion ? On nous envoie seulement à Brest.

— Mensonge ! on va nous embarquer : on nous déporte !…

Et durant ces colloques, l’agitation se propageait dans les chambrées. Harangués par leurs sergens, les soldats criaient et menaient grand tapage. Bientôt, des pancartes furent collées contre les murailles : Mort à Bonaparte ! Vive Moreau !… un commencement de sédition.

Ahuri, ne sachant que répondre et n’osant réprimer, Pinoteau se hâta de regagner son logis : une vingtaine d’officiers l’y rejoignirent. S’excitant à l’envi, ils suppliaient leur chef de vouloir, d’oser, d’agir ; l’heure des résolutions avait sonné : mieux valait tomber sous une balle que d’attraper la fièvre jaune, de crever dans une ambulance ! Le commandant Millier, un grand diable d’Alsacien, répétait, enragé, qu’il fallait rassembler les soldats, déployer le drapeau, et tenter un coup de chien… Mais soudain, et tandis que ces propos allaient s’exaspérant, une nouvelle arriva qui calma net toute cette effervescence. On annonça que plusieurs camarades refusaient leur concours, même, qu’ils signaient une pétition, injurieuse pour leur colonel. Les exaltés se dispersèrent aussitôt… Alors, demeuré seul et se croyant perdu, Pinoteau fut pris d’une dernière défaillance : il écrivit au général Delaborde une lettre piteuse et désolée, lui envoyant sa démission.