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L’ÉTYMOLOGIE ET LA LANGUE FRANÇAISE.

s’étaler en grosses lettres, plus nombreux d’année en année, sur les murs de nos édifices universitaires, lorsque la chute des feuilles donne le signal de la reprise des cours : biologie, bactériologie, gynécologie, histologie, parasitologie… j’en passe, et des pires. Nous l’avons trouvé dans l’héritage des Romains, qui le tenaient des Grecs. Mais il faut dire que nous ne l’entendons pas tout à fait comme eux.

Pour les Anciens, l’étymologie était essentiellement une spéculation a priori sur le sens vrai ἔτυμος (etumos) des mots : en les décomposant arbitrairement, ils se figuraient pouvoir résoudre le problème du rapport des noms et des choses. Pour nous, à qui tant de systèmes philosophiques écroulés ont appris la modestie, il en va autrement. Quand nous recherchons l’étymologie d’un mot, nous nous contentons de viser le sens primitif. En revanche, nous assignons à notre recherche une carrière beaucoup plus large. Le mot n’est pas pour nous une sorte d’entité indépendante du temps et de l’espace ; nous prétendons embrasser les formes successives ou coexistantes, sous lesquelles il se présente à toutes les époques et dans toutes les variétés régionales de la langue à laquelle il appartient ; nous nous efforçons en outre et surtout de ramener cette diversité à l’unité, et nous n’avons pas de cesse que nous n’ayons retrouvé dans une autre langue, antérieure ou voisine, le point d’attache de la forme primordiale. Une fois parvenus à ce résultat, nous pouvons faire halte, si bon nous semble ; mais il est clair que la recherche doit se poursuivre sur le terrain de la nouvelle langue qui se trouve mise en cause. Le repos final ne sera gagné que quand nous aurons remonté de proche en proche jusqu’aux dernières limites de la connaissance. L’étymologie est comme une tranchée large et profonde que nous creusons dans l’histoire de l’humanité à perte de vue, c’est-à-dire tant que nous trouvons devant nous des hommes, et qui ont parlé.

À envisager ainsi les choses, on peut dire que les Grecs et les Romains, à qui nous devons tant dans le domaine de l’art, de la philosophie ou même des sciences naturelles, ne nous ont rien laissé de solide sous le nom d’étymologie. Leurs travaux ne sont que jeux d’enfans s’amusant à labourer le sable de à grève de sillons capricieux que la prochaine marée nivellera impitoyablement. Le premier venu de nos lycéens, qui aurait absorbé docilement et digéré convenablement les quelques notions qui émail-