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les Scandinaves, qui se taillèrent une nouvelle patrie sur les côtes de la Manche, la « terre des gens du Nord » ou Normandie. C’est elle encore qui lui fera comprendre comment, de ces élémens si divers s’est dégagée peu à peu la nationalité française, et qui lui tracera le tableau des relations que les Français ont entretenues soit avec leurs voisins immédiats (Anglais, Allemands, Italiens, Espagnols, etc.), soit avec d’autres nations européennes, soit, à l’époque des Croisades et surtout depuis la découverte du Nouveau Monde, avec les différens groupes humains répandus sur toute l’étendue du globe terrestre. C’est à elle enfin qu’il ira demander ces mille détails, épars dans les chroniques, dans les mémoires, dans les livres de raison, dans les chartes, dans les inscriptions, à l’aide desquels il pourra se représenter au vif les mœurs et, pour ainsi dire, la physionomie intime des sociétés disparues.

Ayant le vaste champ de l’histoire de France devant elle, l’étymologie s’y est plus d’une fois égarée, parce qu’elle n’a pas su dégager le point essentiel des accidens de toute sorte qui l’entourent. Ce point essentiel, véritable pivot de notre histoire, c’est la conquête de la Gaule par les Romains, et par suite l’identité foncière de la langue des Romains et de la langue des Français. Ceux qui prétendent, au nom de l’histoire, expliquer le tréfonds de notre langue par le gaulois ou par le grec, ne comprennent pas les leçons de l’histoire. Ils ferment les yeux de parti pris : ce sont des hallucinés avec lesquels on ne saurait discuter.

Il faut s’entendre, cependant. Nous ne prétendons pas que le latin implanté en Gaule y soit demeuré absolument intangible, soit de la part des idiomes préexistans, soit de la part de ceux qui vinrent plus tard le battre en brèche. Du moment qu’on lui reconnaîtra dans la formation du français le rôle incontestable d’élément constitutif, on aura ses coudées franches pour rechercher la part qu’il convient de faire aux élémens accessoires, parmi lesquels le gaulois et le germanique occuperont toujours une place d’honneur. L’importance de l’élément germanique a toujours été reconnue et il est inutile de la faire ressortir ici. L’influence du gaulois est plus difficile à mesurer exactement. À ne tenir compte que du vocabulaire de la langue commune, elle paraît se réduire à bien peu de chose : c’est à peine si une cinquantaine de mots français peuvent être rattachés