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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/577

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L’ÉTYMOLOGIE ET LA LANGUE FRANÇAISE.

directement au gaulois[1]. Mais est-il juste de faire abstraction de notre vocabulaire géographique, où, malgré les alluvions, il émerge encore tant de témoins des couches linguistiques primitives ? N’est-ce pas là mutiler de nos propres mains notre langue et notre histoire ? Ou voudrait-on soutenir que nous ne parlons pas français quand nous avons sur les lèvres les noms de nos cours d’eau, de nos montagnes, de nos forêts, de nos pays, de nos villes et de nos hameaux, comme Loire, Cévennes, Ardennes, Morvan, Laon, Condé ou Charenton, et tant d’autres vocables usuels, sur lesquels deux mille ans ont passé sans leur apporter d’autre modification qu’un allégement phonétique qui est moins un dommage qu’une toilette destinée à les faire paraître toujours jeunes ? Les études de toponymie, malgré les beaux travaux de M. d’Arbois de Jubainville et Longnon, professeurs au Collège de France, ne jouissent peut-être pas encore chez nous de la faveur qu’elles méritent, parce qu’elles ont été pendant longtemps livrées à la fantaisie. Il est temps de proclamer qu’elles font partie intégrante de la philologie française. M. Camille Jullian, professeur à l’Université de Bordeaux, après avoir exposé éloquemment les services que ces études peuvent rendre, vient d’inviter l’association internationale des Académies à s’occuper sans retard de la publication d’un corpus toponymique du monde ancien[2]. Nous faisons des vœux pour que cette excellente idée soit prochainement réalisée.

Mais arrachons-nous au charme que présente l’étude des origines. Quand une langue a duré pendant plus d’un millier d’années, il y a quelque puérilité à demeurer toujours penché sur son berceau pour écouter ses premiers vagissemens. Il faut la suivre à travers les siècles jusqu’à nos jours et s’efforcer de déchiffrer l’empreinte que chacun d’eux y a laissée. La tâche est attrayante, mais difficile. Le plus souvent, ce n’est qu’à l’aide de la loupe qu’on arrive à discerner dans le langage le contrecoup des événemens historiques les plus considérables. Arrêtons-nous à examiner attentivement notre mot empereur, autrefois emperedre au cas sujet, emperedor au cas régime. Pourquoi

  1. On en trouvera la liste dans le Traité de la formation de la langue française qui sert d’introduction au Dictionnaire général d’Hatzfeld et Darmesteter. Ce traité, œuvre personnelle de Darmesteter, a été révisé et publié par M. Léopold Sudre, professeur au collège Stanislas.
  2. Beitræge zur alten Geschichte, t. II, 1re livraison.