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huit reflets » des obus et le poli glacé des lames. Il a même parfois, et pour certains ouvrages, le défaut d’être trop dur et trop cassant. On le soumet alors au recuit ; on le réchauffe à une température inférieure à celle de la trempe, et, en le laissant refroidir lentement, on ressoude en quelque manière ses molécules, on l’empêche de s’égrener, et on lui rend ainsi de l’élasticité et de la plasticité.

Nous assistâmes, dans l’atelier de cémentation[1] de l’usine C, à la trempe d’une plaque pour tourelle de cuirassé. On la fit glisser, longtemps chauffée, puis progressivement refroidie, au-dessous d’un jeu de robinets ; et l’eau, pleuvant doucement, comme en caresse, vint corriger, amender, achever l’œuvre du feu, la rendre plus malléable ou plus maniable, sans la rendre moins résistante… Un peu plus loin, dans une autre partie de l’atelier, on était en train de tremper des canons de 155 millimètres. Eux, comme il faut qu’ils soient très durs, un homme au visage couvert d’un masque les cueille, si rouges qu’on les croirait saignans, à la gueule du four, et, tout entiers, tout d’un coup, le palan qui les enlève les dépose dans une cuve où ils disparaissent de la culasse à la bouche. Pour les longues pièces de marine, les vrais Longs Toms, qui n’en finissent pas et qui pèsent plus de 40 000 kilos, la cuve est verticale ; c’est un puits profond au moins du double de leur longueur ; elles y descendent majestueusement, comme dans la gloire empourprée d’une apothéose de la force, s’y engloutissent, et n’en remontent que blanchies et bleuies de l’incorruptible éclat, durcies encore, dures à jamais de la dureté infrangible de l’acier.

  1. « Pour fabriquer des aciers exactement au degré de carburation voulu, on emploie le procédé de cémentation. On prend des barres de fer pur et on lui incorpore une certaine quantité de carbone en les chauffant longtemps au milieu d’une masse de charbon de bois en poudre. Au rouge cerise, les deux corps se combinent ensemble et le carbone pénètre peu à peu jusqu’à une certaine profondeur dans la barre. Il s’y introduit et chemine progressivement, bien que le métal reste solide…
    « Cette opération se fait dans de grandes caisses où les barres de fer plates sont empilées avec des lits alternatifs de charbon en grains. Ces caisses sont placées sur des banquettes recouvertes d’une sorte de hotte. Après avoir chargé les caisses, on ferme les portes du four, on les lute avec soin, et on chauffe au moyen d’un foyer placé entre les banquettes. On maintient le four chaud plusieurs jours, car il faut longtemps pour que la cémentation se fasse sentir jusqu’à une certaine profondeur. L’opération est naturellement d’autant plus longue qu’on veut avoir un acier plus carburé. A la fin, on laisse refroidir lentement, on ouvre les caisses, puis on casse les barres, et on examine leur grain, c’est-à-dire l’aspect de la cassure, pour les assortir et les classer en catégories suivant leur degré de dureté. » — Urbain Le Verrier, la Métallurgie, p. 167.