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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/61

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toujours fort souffreteux. Nous avons une espèce de printemps de Spitzberg qui me désespère. Je pense que vous avez peut-être trop chaud tandis que je grelotte, et le démon de l’envie s’empare de moi. Vous avez en outre l’avantage de ne pas voir les élections de Paris, qui donnent une piètre idée du bon sens du peuple le plus spirituel de la terre, à ce qu’il dit et croit. Tout cela est triste, sale et surtout bête. C’est malheureusement à peu près tout ce qu’on peut dire des choses de ce temps-ci. Je voudrais avoir à lire l’histoire de Perse, pour me distraire de l’histoire moderne. Quand paraîtra-t-elle ? Si le Journal des Savans passe la mer, vous verrez, dans la livraison de ce mois, un article aussi remarquable par l’aménité du style que pour la profondeur des pensées. C’est assez vous dire que j’en suis l’auteur. Il s’agit de justifier[1] Catherine II d’avoir laissé noyer dans un cachot une fille d’Elisabeth pendant une inondation de la Neva. L’empereur Alexandre ouvre ses archives aux gens de lettres et on a publié des pièces assez curieuses, d’où résulte que la prétendue fille d’Elisabeth était une drôlesse, et qu’elle est morte de la poitrine. Il y a dans tout cela des figures assez drolatiques, entre autres un amant de cette drôlesse, prince de Limburg, rempli de Gemüth et aussi niais que les Allemands le sont au Vaudeville. Nos archives se sont piquées d’honneur et m’ont fourni quelques pièces assez curieuses[2]. Le fait mérite d’être cité. Assurément vous étiez cause de tout le tapage qui s’est fait en Grèce. Vous n’êtes pas plutôt revenu que les descendans de Thémistocle sont redevenus très gentils. Ils volent toujours un peu les antiquaires qui cherchent des inscriptions, mais le mal n’est pas grand. Les élections se sont faites à bon marché, moyennant la promesse de quelques drachmes pour les électeurs bien votans, et quelques coups de bâton pour les mal votans, lesquels ont eu le bon esprit de s’abstenir. Voilà ce que rapporte un arrivant d’Athènes, outre une pierre gravée qui me paraît de fabrique italienne et moderne.

Sa Majesté l’Impératrice va voir l’ouverture du canal de Suez et a fait à votre serviteur l’honneur de l’inviter à la cérémonie. Ce n’est pas l’envie qui me manque, mais je n’ose. Je suis trop patraque pour aller à de pareilles fêtes. La princesse Mathilde est partie hier pour Saint-Gratien. Elle a fait une grande

  1. L’Histoire de la fausse Elisabeth.
  2. Il existe des lettres inédites de Mérimée à M. Faugère, alors directeur des Archives aux Affaires étrangères, relatives à ces recherches.