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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/621

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officielles les frondaisons indisciplinées d’un esprit demeuré jusque-là sans culture : il eut des heures difficiles : entamer une instruction régulière à vingt-deux ans, quand les facultés ont perdu la souplesse première de l’enfance, c’est une entreprise dont on soupçonne à peine les risques parce qu’on en a rarement le spectacle. Pour comble de disgrâce, le jeune poète gardait une aversion instinctive aux sciences exactes, et, généralement, à la plupart des connaissances pratiques enseignées dans l’école professionnelle qui lui avait ouvert ses portes. — À ces soucis d’ordre intellectuel, se joignaient pour lui les angoisses de la question matérielle, posée par son absolu dénuement. Il fallut lui procurer tout d’abord le logement et la nourriture : mais, sur ce point aussi, l’enfant de la montagne rencontra d’incroyables dévouemens, parmi les citoyens de Gratz. Dès le début, six familles de la ville se chargèrent de le recevoir à leur table une fois par semaine : une seule journée donnait donc encore quelque difficulté au paysan sans ressources.

Tant bien que mal, il poursuivit, dans ces conditions précaires, les arides études que lui imposait la nécessité : il parvint à leur terme, mais il n’eut jamais ni le désir, ni peut-être la capacité de les utiliser par la suite derrière quelque comptoir.

Après quelques années de tâtonnemens, il eut enfin la bonne fortune de rencontrer un éditeur intelligent et généreux pour assurer son existence matérielle et l’engager définitivement dans la voie purement littéraire dont il allait parcourir triomphalement les étapes. Heckenhast, de Pest, plaça dans l’avenir du jeune homme, après tant d’autres braves cœurs, une confiance qui ne fut point trompée ; et, soutenu de cet appui cordial, assuré maintenant du lendemain, Rosegger commença dès lors à se faire connaître au-delà des limites de sa province. Il donna même aussitôt des preuves nouvelles de cette fécondité exagérée peut-être, dont son parrain et messager avait jadis senti le poids sur ses épaules, et qui permet d’estimer à plus de soixante-dix volumes l’importance de son œuvre actuelle. Son excuse est qu’à ce moment, la production était devenue pour lui une nécessité matérielle, puisqu’il devait vivre des revenus de sa plume. En huit ans, il publia donc chez Heckenhast quatorze volumes de prose, et, de plus, six années d’un de ces calendriers populaires dont la rédaction avait été, nous l’avons vu, sa première tentative littéraire.