Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intellectuel de la religion dans cette société primitive ; « pour moi j’étais toujours profondément attentif au sermon, parce que, — je n’y songeais pas alors, mais je le comprends mieux aujourd’hui — les idées de l’orateur pouvaient bien être baroques, c’étaient, après tout, des idées, et, à ce titre, des choses rares en ce temps parmi nous. Quant aux images fantastiques dont il illustrait ses argumens, je ne voudrais pas même à présent les dédaigner, car je les ai retrouvées maintes fois depuis sur les vieilles toiles du bon Breughel d’Enfer. »

Ne croyez pas cependant, d’après ces traits sévères, que la disposition des esprits restât toujours sombre autour du vieux mystique. Par une réaction inévitable, l’humour de la race, un instant comprimé sous l’émotion religieuse, reprenait bientôt ses droits. C’est là, nous l’avons dit déjà, que Pierre rencontrait l’une de ses petites amies d’enfance, et que leurs pieds nus se pressaient réciproquement sous les bancs ; là, qu’une servante de ferme, toujours jeune de caractère malgré ses cheveux grisonnans avait une réputation de boute-en-train irrésistible, en sorte qu’autour d’elle une bonne farce était toujours en préparation ou en voie d’exécution. L’une de ces plaisanteries tourna cependant à la confusion de ses auteurs. Les ingénieurs d’un chemin de fer voisin, anathématisés par le prédicateur pour leur œuvre diabolique, eurent un jour la curiosité de l’entendre ; entreprise fort délicate, car il ne tolérait pas les étrangers dans son auditoire, et, moins que tous autres, de pareils impies. On s’entendit pour les dissimuler à ses yeux affaiblis dans les rangs pressés des villageois ; mais ils furent décelés au voyant par l’odeur particulière de leur tabac, marchandise raffinée de citadins, que l’aveugle flaira dès son premier pas dans la pièce, et qui le fit renoncer à la parole pour ce jour-là. Il faut avouer aussi qu’avec les meilleures intentions du monde, le saint homme allait souvent à l’encontre de son but d’édification, et introduisait lui-même des élémens de trouble dans l’atmosphère dévote qu’il s’efforçait de créer autour de lui. Cela arrivait surtout quand il abordait le chapitre des tentations de la chair, genre de développement qui piquait d’une façon toute particulière la curiosité de la portion la plus jeune de ses auditeurs. « Nous apprenions bien des choses édifiantes sur les saints et les saintes demeurés vierges ; mais aussi toutes sortes de raretés sur les désirs et les luttes de la chair, sur leurs conséquences et sur les instrumens de torture