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jugé lui-même la valeur de ses tentatives philosophiques : il garde d’ailleurs toute sa supériorité dans la peinture de l’âme paysanne, et, au sein de ce roman mal venu, la villageoise Marie apparaît aussi fraîche, aussi agréablement dessinée, aussi véritablement éloquente sur les questions de morale domestique, que la princesse Juliana est à la fois conventionnelle et brutale en ses instincts mal dirigés.


VIII

Il nous reste à parler du roman le plus célèbre de Rosegger, Der Gottsucher, le Chercheur de Dieu. L’élément inconscient, héréditaire, intuitif y tient une place plus considérable encore que dans Martin l’Homme, et en rend l’étude singulièrement intéressante. Ses amis remarquèrent sans peine l’obsession mentale à laquelle il semblait en proie durant l’incubation de cette œuvre dans son esprit[1] ; et nous allons nous efforcer d’analyser, telles que nous avons cru les apercevoir, les différentes impulsions psychiques auxquelles il a cédé. Il a raconté, dans ses souvenirs du village natal[2], que, conduit tout enfant dans une vallée assez voisine cependant de la maison paternelle, celle de Tragoess, il reçut du sombre paysage qui frappa ses regards une impression inoubliable. Un vaste cirque de forêts sauvages couronnées par des landes stériles ; puis, dominant ces solitudes, un rempart de rochers gigantesques, grisâtres et dentelés : c’est ainsi que le poète a décrit plus tard, au début du roman qu’il y a déroulé, cette contrée plus âpre encore que ses horizons familiers, et il lui a donné dans son œuvre d’imagination le nom à peine modifié de Trawies. Comment, d’une simple émotion esthétique née devant un paysage qui, cette fois plus que jamais, « fut un état d’âme, » a pu procéder dans son esprit toute une légende angoissante et sinistre. Il faut, pour le mieux comprendre, tenir compte ici de certaines confidences personnelles, que l’attachante sincérité de notre auteur ne nous a pas ménagées. Dès l’enfance, cette âme vibrante se sentait mise en mouvement par des impulsions inexplicables à sa raison ; des associations d’idées naissaient sans contrôle en ce cerveau si actif. « Il y avait, dit-il[3], dans notre

  1. Persoenliche Erinnerungen an Robert Hamerling.
  2. Als ich jung noch war, p. 66.
  3. Waldheimat, II, p. 146.