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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/651

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maison, une sombre pièce de débarras, où s’entassaient vieux meubles, fers rouilles, cuirs hors d’usage… Chaque fois que j’y pénétrais, il me fallait penser à une roue dentelée de moulin, sans qu’il y eût rien là ; dont l’aspect pût m’amener, même de loin, à cette représentation. Quand je regardais la paroi escarpée de la haute montagne nommée Veitsch, le nom de « Michel » me venait toujours à l’esprit : et le son des cloches lointaines de Hauenstein me rappelait la sensation d’un bol de lait… » On étudie volontiers de nos jours ces répercussions inattendues entre sensations diverses d’origine, et l’audition colorée en est un cas particulier devenu célèbre en littérature par un sonnet décadent qui a valu un monument à son auteur. Elles semblent à certains un argument en faveur de la métempsycose, à d’autres un phénomène encore mal connu d’hérédité cérébrale, qui ferait reparaître, atténuées chez les enfans, les impressions marquantes et décisives dont furent affectés les organes des pères[1].

Les associations d’idées sont plus libres encore au cours des songes dont nous avons signalé déjà le rôle dans la vie morale de notre auteur. Il a tracé quelque jour la silhouette amusante d’un vieux charbonnier qui sait diriger ses rêves et s’assurer ainsi une existence nocturne toute de splendeurs et de pompes. Chaque nuit, il se voit monarque absolu trônant dans son palais royal ; mais, comme nulle joie n’est ici-bas sans mélange, il a le regret de s’éveiller sans exception à l’instant précis où, sur son ordre souverain, on va lui présenter son plat favori, la choucroute au lard. Cet original en est même venu à se demander si sa misère ne serait pas le rêve ; sa couronne, la réalité ? Et la philosophie contemporaine, si embarrassée à distinguer des chimères du songe les apparences du monde extérieur, ne le contredirait peut-être pas avec trop d’assurance. Rosegger attache, lui aussi, un véritable prix à cette seconde vie du sommeil, et il a plus d’une fois puisé des inspirations dans ses rêves qui, par une pente naturelle, reproduisent souvent les émotions

  1. Rosegger a cité dans ce sens (Idyllen aus einer untergehenden Welt) une anecdote personnelle, peut-être un peu embellie, il est vrai. Il assure que, tout enfant, il croyait se souvenir d’un Calvaire dressé jadis près de la haie de leur enclos, alors que son père Lorenz lui affirmait n’en avoir jamais connu lui-même en ce lieu. Or un très vieux mendiant raconta un jour par hasard qu’une croix s’élevait en effet jadis en cet endroit, et en avait été enlevée avant la naissance de Lorenz Rosegger. — Mais, objecterons-nous, quelque récit de sa grand’mère n’en avait-il pas transmis la tradition inconsciente au poupon qu’elle berça dans ses bras ?