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puissantes de la vie montagnarde, ressenties par ses pères comme par lui-même, et devenues les thèmes favoris de sa Muse. C’est, par exemple, l’orage dans la montagne, ou plus fréquemment encore, et ceci nous ramène à notre sujet, l’incendie des granges de la ferme paternelle, avec son cortège de terreurs et de désespoirs.

Car la préoccupation, l’obsession, enfin l’adoration du feu, tel sera le thème fondamental de ce singulier roman du Chercheur de Dieu. Nous l’avons dit, l’incendie est le danger permanent qui menace les constructions de bois des vallées styriennes. Or, beaucoup d’entre nous peuvent savoir par expérience quel effroi se dégage du spectacle de ce fléau, même dans des conditions moins pénibles d’isolement, avec une moindre appréhension de ruine matérielle. « L’Occident, a écrit M. A. Leroy-Beaulieu dans son bel ouvrage sur la Russie, où il rencontra des phénomènes analogues, l’Occident peut à peine comprendre l’impression de l’incendie dans ces régions. » Que de telles catastrophes laissent à travers les générations des traces indélébiles dans les imaginations paysannes, il n’y a pas lieu de s’en étonner ; et leur souvenir se précise encore sous l’influence de ces représentations, trop matérielles sans doute, qu’éveille en des âmes naïves la crainte de l’enfer et du purgatoire chrétiens. Aussi trouvons-nous à plusieurs reprises dans les écrits de Rosegger l’écho de semblables préoccupations. Voyez l’Homme du Feu[1], hypnotisé dès son enfance par la lueur du foyer qu’il fixe sans cesse au point d’en devenir aveugle à l’exemple de ces fakirs indiens qui perdent la vue par la contemplation du soleil ; et l’Homme aux treize thalers[2], recevant d’un incendie une commotion qui en fait pour toujours un malheureux déséquilibré. Ce dernier se représentera dès lors le fléau dont les ravages ont détruit son existence comme un monstre avide de pâture, une « bête aux cheveux rouges » qui vient, à intervalles réguliers, réclamer sa proie, ainsi que jadis le Minotaure.

Notons-le d’ailleurs, les antiques superstitions païennes qui se rapportent à cet élément menaçant ont été conservées avec soin dans les districts germaniques. Les feux de la Saint-Jean n’y sont qu’une transformation de la vieille solennité du solstice, et M. Sudermann, dans une récente œuvre dramatique, prenait précisément cette coutume populaire pour symbole des libres désirs

  1. Sonderlinge aus dem Volke der Alpen.
  2. Ibid.