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Nous allons retrouver une intrigue tout à fait analogue à celle de cette esquisse dans le Chercheur de Dieu. Ce roman, dont les pages semblent éclairées d’une rouge lueur de cauchemar a trouvé en Allemagne des admirateurs passionnés. Un des plus récens historiens de la littérature contemporaine chez nos voisins y saluait hier encore l’aurore d’un symbolisme purement national, dont les leçons, recueillies à temps par la jeune école berlinoise, l’eussent dispensée de s’aller abreuver à de troubles sources françaises[1]. Nous allons voir s’il est permis de ratifier ce jugement sans réserves.

L’ouvrage est divisé en trois livres : l’Erreur, les Sans-Dieu, la Rédemption. Nous considérons tout au moins la première partie, prise à part, comme une des nouvelles les plus puissantes qui soient sorties de la plume de Rosegger. C’est, en soi, un tableau achevé et poignant, dont la tonalité au sombre éclat, le coloris puissant dans le clair-obscur laissent une impression inoubliable. A une époque indéterminée, car le récit est donné pour extrait d’une chronique sans date, vers le XVIIe siècle peut-être, la communauté forestière isolée de Trawies montre une race rude et énergique, profondément chrétienne de croyance et de pratique, mais non moins fanatique dans son attachement aux antiques coutumes léguées par ses pères, et héritées du lointain paganisme. Le « feu des ancêtres » tient une place prépondérante dans les préoccupations de ces hommes. Chaque année, à la Saint-Jean, tandis que sont allumés les bûchers traditionnels, on s’en va au cimetière « éveiller » symboliquement son père et sa mère, pour les inviter à la fête nocturne, dont ces ombres n’entraveront guère la liberté par leur invisible présence, et, vers la fin de cette réjouissance assez orgiaque, un homme de confiance, désigné par le choix de ses pairs, emporte le « feu des ancêtres » pour le conserver avec soin durant l’année sur son foyer. L’an prochain, cette même flamme servira à rallumer les bûchers joyeux, et, de la sorte, elle vit depuis des milliers d’années, sans s’être jamais éteinte à Trawies[2]. Le « gardien du feu » y demeure exempt d’impôts, et jouit d’une considération

  1. Bartels. — Die Deutsche Dichtung der Gegenwart, p. 152. — Voir aussi notre étude sur « l’Influence française dans la littérature allemande contemporaine. » Revue des Deux Mondes du 15 avril 1900.
  2. C’est le vieux culte aryen du feu, l’ « Agni » du Rig-Veda, le feu perpétuel sur l’autel domestique des Grecs et des Romains, centre réel de leurs conceptions religieuses.