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exceptionnelle, car on voit en lui le représentant de la tradition, le prêtre du passé de la race. Au début du roman de Rosegger, celui qui tient cet emploi est un des gros propriétaires de la commune, Gallo Weissbucher.

Dans l’organisation, toute féodale encore, que nous offre ce récit, et que justifierait, s’il était nécessaire, en une société immobile depuis des siècles, l’époque indéterminée de ces événemens, le curé de la paroisse est en même temps le seigneur temporel du pays, possédant droits de chasse, de dîme et de justice. Et les choses ont ainsi marché sans trop de secousses, de temps immémorial, lorsqu’un nouveau pasteur est envoyé à Trawies par l’évêque suzerain. Le Père François, notons-le dès à présent, a été engagé dans les ordres contre sa volonté, par quelqu’une de ces considérations de famille souvent décisives autrefois ; il a supporté impatiemment les épreuves monacales, et la rude discipline du noviciat ecclésiastique. Aussi, devenu enfin maître de ses actes, par sa nomination à Trawies, entend-il se conduire à sa guise. Non que sa foi, ou ses mœurs même prêtent le moins du monde à la critique : c’est un bon prêtre et un prêtre convaincu, mais c’est de plus un homme actif et énergique, qui a besoin de distractions violentes, de chasse, de jeux de hasard, et qui tient sur toutes choses à l’obéissance passive d’ouailles dont il ferait volontiers des serfs.

Pour saisir l’actualité de ces pages, en somme bien plutôt critique sociale que critique religieuse, il faut songer à l’état contemporain de l’église autrichienne, qui garde, qui gardait plus encore dans l’enfance de Pierre Rosegger, un esprit quelque peu féodal. Les hauts dignitaires ecclésiastiques y sont fréquemment de grands seigneurs par la naissance et de puissans personnages par la fortune, tandis que les bénéfices considérables dont ils sont pourvus leur font la vie luxueuse et brillante. Spectacle dont nous sommes désaccoutumés en France depuis plus de cent ans, mais qui, à toute époque, a suscité dans l’Eglise le scandale des petits et l’intervention de l’autorité suprême. Dans une nouvelle, toute moderne celle-là[1], Rosegger a ainsi mis en scène l’existence princière d’un prélat aristocratique, d’ailleurs excellent prêtre et homme de cœur, et les conséquences morales désastreuses de ce voisinage éblouissant sur l’âme d’un prêtre sorti des rangs du peuple.

  1. Buch der Novellen, « III. Jean le Favori. »