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sous de moins par semaine ; ce qui tendrait à prouver que l’éducation générale aide à tout.

Rien ne fatigue comme le bruit. À ce propos, l’ouvrière qui m’enseignait le métier exprima devant moi ses sensations en ces termes :

— C’est terrible d’être assise là, toujours seule, à se presser du matin au soir, avec rien dans la tête que le bruit. Je l’entends toute la nuit. Beaucoup de filles ont, à cause de ça, la maladie nerveuse et je sens que je suis en train de l’attraper.

Je découvris que parmi les ouvriers et les ouvrières, il y en avait un grand nombre qui, las d’un travail purement mécanique, suivaient des cours par correspondance avec les écoles établies à cet effet, étudiant ainsi la tenue des livres, la sténographie, le dessin, l’architecture, toujours dans l’espoir du « getting on, » d’avancer, de faire leur chemin.

Il y a une négresse à la fabrique. Elle est reléguée dans une alcôve où elle travaille isolée, quand elle ne fait pas les plus basses besognes, telles que balayer ou ramasser les bouts de chiffons.

Je note pendant mon séjour à Perry une tentative de suicide. En revenant de dîner, nous trouvons un billet attaché à un métier devant une place vide : « Ne me cherchez pas ; je vais au lac me noyer. » Rien de plus. Grâce à de prompts secours, la jeune fille fut sauvée. Chacune, elle exceptée, donna, trouva une explication quelconque à cet acte de désespoir : elle était découragée, nerveuse, un peu folle. Mais pas un mot contre sa réputation, et je n’osai, quant à moi, exprimer l’hypothèse qui me semblait après tout la plus probable. J’aurais cru en l’articulant me rendre coupable d’une supposition indécente.

Le fermier et sa femme chez qui nous prenons pension vivent à part. Elle est la ménagère à l’ancienne mode, tout à sa maison, à sa cuisine et à l’église. Dans la ferme qu’ils habitaient naguère, elle a rendu son mari heureux durant quarante ans de vie conjugale. Lorsque le vieil homme ne fut plus en état de travailler, ils se transportèrent en ville, elle reçut des pensionnaires, et devint à son tour le soutien du ménage. A mesure qu’un côté de la balance s’alourdit, elle fait contrepoids et rétablit l’équilibre Ses activités, ses sympathies sont restées vives parce qu’elle partage les intérêts des jeunes. Le mari souffre d’être désœuvré. Mais je les ai vus tous les deux assis à la même table, j’ai saisi le regard plein de foi qu’il tourne vers elle. Ce regard embrasse