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POÉSIES

LES BŒUFS


I. LES PATRIARCHES


L’aiguillon à la main, cambrant son rude torse,
Voici juste quinze ans qu’il accoupla leur force,
Et, depuis ces quinze ans, le rustique bouvier,
Fier de ses bœufs, ne les a pas vus dévier.
Nuls ne savent comme eux, dont fume l’humble haleine,
Traîner un attelage au travers de la plaine ;
Nuls ne savent, d’un pas égal et sûr comme eux,
Achever les travaux des automnes brumeux
Et creuser des sillons sans nombre en ligne droite.
Leurs grands yeux sont des lacs de douceur, où miroite
Un limpide reflet des horizons nacrés ;
Car toute la fraîcheur caressante des prés
Et tout le lumineux tremblement de l’espace
Brillent dans leur regard où l’âme agreste passe.