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Car le dur laboureur, insensible à ces choses,
Et que seuls, dans la vie, émeuvent les écus,
Se rit des anciens jours côte à côte vécus,
Des angélus plaintifs et des horizons roses.

Demain, lorsque viendra le bouvier inconnu
Qui doit au joug nouveau sans pitié les soumettre,
Alors qu’indifférent s’éloignera leur maître,
Ils le caresseront d’un regard ingénu.

Puis, suivant l’étranger qui les flatte et les nomme,
Tout souvenir chez eux n’étant jamais éteint,
Ils sentiront au fond de leur naïf instinct
Pleurer obscurément l’âme qui manque à l’homme.


IV. L’ANGÉLUS DES BŒUFS


Or, sans qu’une sueur perle de leur poil rude
Et fraternellement accouplés, les bœufs roux,
Dont jamais l’aiguillon n’excita le courroux,
Marchent enveloppés de vaste solitude.

Le soc, dont au couchant pâle reluit l’acier,
Fend la glèbe argileuse où s’ouvriront les germes,
Et les bœufs, jusqu’au bout héroïques et fermes,
Laissent leur lourde empreinte au sillon nourricier

Bien que chenu déjà, le laboureur robuste
Tient la charrue et suit l’attelage en songeant.
Les clartés d’un soyeux crépuscule d’argent
Accusent la souplesse et l’ampleur de son buste.

Soudain, de l’Occident terni de plus en plus,
Où, par degrés, se fond dans l’ombre chaque teinte,
Une cloche d’amour et d’innocence tinte,
Exhalant les soupirs frêles d’un angélus.