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fait allusion, nous a appris que la reine Victoria en personne a repoussé toute éventualité belliqueuse, retenu son gouvernement au seuil d’une aventure, et épargné à deux grandes puissances un choc qui aurait été un malheur pour l’humanité : hommage en soit rendu à sa mémoire. Ce choc aurait été d’autant plus déplorable qu’il aurait été sans objet, comme on n’a pas tardé à le reconnaître. En effet, trois ans ne s’étaient pas encore écoulés, que nous avions fait un arrangement avec l’Angleterre pour régler à l’amiable toutes les questions qui avaient été dans le passé une cause de froissement entre elle et nous, et qui auraient pu devenir plus tard une cause de conflits encore plus graves. Nous n’avons pas hésité, en 1896, à donner toute notre approbation à l’arrangement conclu par M. Berthelot. Il rendait, en quelque sorte, la vallée du Ménam intangible pour la France et pour l’Angleterre ; mais, à l’est et à l’ouest de ce tampon, il déterminait de vastes sphères d’influence et d’action, où chacune des deux puissances devait avoir ses coudées franches, sans que l’une se mêlât de ce que l’autre pourrait y faire. Quel obstacle avions-nous trouvé en face de nous en 1893 ? L’Angleterre, et l’Angleterre seule. Il fallait donc supprimer cet obstacle, et c’est ce que l’arrangement de 1896 a fait dans les conditions les plus satisfaisantes pour nous, puisque la sphère qui nous avait été abandonnée comprenait le bassin du Mékong, c’est-à-dire tous les territoires sur lesquels nous pouvions avoir des vues. A partir de ce moment, nous étions libres de réaliser tous les plans que nous voudrions, et par les moyens que nous voudrions. Nous sommes convaincus que l’Angleterre aurait tenu la parole qu’elle nous avait donnée, de même que nous tenons et que nous tiendrons celle qui nous engage vis-à-vis d’elle. Pourtant, depuis 1896 jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons rien fait. L’occasion aurait été doublement bonne pour agir pendant les deux années de la guerre sud-africaine, puisque à l’engagement que l’Angleterre avait pris envers nous venaient se joindre pour elle des occupations qui absorbaient une partie de son activité politique. Mais cette seconde considération est accessoire : encore une fois, nous avions la parole de l’Angleterre, et cela suffisait. Cependant nous n’avons pas bougé.

Il y avait sans doute à cela de bons motifs que nous ignorons, et qui n’apparaissent pas dans la lecture du Livre jaune récemment publié. La plus grande partie de ce recueil a pour objet évident de prouver que le traité de 1893 était inexécutable, et que, en tous cas, il n’a pas été exécuté. C’était un nid à difficultés. Nous rendions le Siam responsable de tout ce qui se passait dans des zones où nous