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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/806

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Pour l’esprit, l’art chrétien demandera sans doute toujours des : commentaires. Aux yeux, ses formes s’expliquent toutes seules. Elles n’ont besoin d’aucune justification. Chaque sujet de retable ou de fresque, ou de châsse peinte peut bien être un Mystère douloureux ou joyeux, mais le sujet pittoresque est sans mystère. La plupart sont aussi clairs que des scènes contemporaines, journalières, des « tableaux de genre. » Pour l’homme le plus ignorant du christianisme, une Vierge de van Eyck lisant au coin de son feu sur sa chaise gothique n’est pas un spectacle plus inattendu qu’une bourgeoise hollandaise dans son intérieur par Pieter de Hooch, ni une Sainte Famille, fût-elle accompagnée de saint Jean-Baptiste et de l’Agneau, une composition plus mystérieuse que le portrait des Ménines ou que la Famille de Franz Hals. Quand même on supposerait le christianisme détruit, oublié, perdu, il suffirait pour ramener vers lui les cœurs des mères et les rêveries des pauvres gens et des poètes qu’un seul tableau recueilli dans un musée et représentant la Nativité.

Il n’est pas au monde de plus beau sujet pour un peintre ; et la théorie, si banale aujourd’hui, que dans l’œuvre d’art le sujet n’est rien et que le tempérament de l’artiste est tout, est démentie depuis cinq cents ans par le soin qu’ont pris les artistes de choisir ce même sujet, alors que souvent ni la volonté de leurs patrons, ni l’intention des donateurs ne les y obligeait. Tout ce qu’il y a de pittoresque, de beau, d’ « esthétique » est là. Qu’exige le grand art ? Du nu ?… La Nativité en offre : l’Enfant, et, si l’on veut, la plupart des bergers et des anges ! La variété des âges ? Elle est infinie depuis saint Joseph et le mage Melchior que la tradition veut qui soient des vieillards, jusqu’au nouveau-né. La beauté d’une femme jeune ? Elle est voulue tant par la tradition que par la vérité ethnographique des belles Béthléemites. La diversité des attitudes ? Elle va de soi, puisque de la variété des expressions : étonnement, joie, méditation, inquiétude et soucis, naît la signification même de cette fête de Noël. Une échappée de paysage permet à l’artiste de dire ce qu’il veut sur la nature, la présence de l’âne et du bœuf, ce qu’il sait sur les animaux. Il n’est pas jusqu’aux chameaux des Mages qui n’offrent un thème au naturaliste exercé.

Toute modalité de la couleur y est également propre. Pra-tique-t-on le clair-obscur ? On peut imaginer la Nuit avec le Corrège. Est-on luministe ? On peut peindre de plein jour comme