Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/808

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en sont déterminés jusqu’à l’âne et au bœuf auxquels l’Eglise elle-même donne une place protocolaire. Les Rois Mages sont introduits et, dès le XIe siècle, on sait leur nombre, leurs âges respectifs et la nature de leurs présens. Quand arrivent les premiers peintres, l’ordre et la marche sont fixés, il n’y a plus rien qu’on y puisse ajouter, et comme d’ailleurs tout y est pittoresque, on n’a envie d’en retrancher rien. La fantaisie se donne carrière, mais seulement dans l’ordre spécifique de l’Art : elle ne touche plus au sujet. Toutes les différences qu’on observera donc entre les époques et les maîtres tiendront essentiellement à quelque progrès professionnel de ces maîtres ou à quelque sentiment intime de ces époques. C’est l’avantage qu’offre un fond d’idées générales dans l’œuvre d’art. On voit beaucoup mieux en quoi Pradon diffère de Racine quand on les observe tous les deux traitant la même donnée, munis des mêmes documens. Ainsi, en parcourant des yeux cette longue suite de Nativités qui racontent, dans tous les musées du monde, en tant de langages, la même histoire, en nous arrêtant devant quelques-unes seulement, le Piero délia Francesca et le Botticelli de la National Gallery, le Hugues de Gand de Santa Maria Nuova, le Lorenzo di Credi de l’Académie de Florence, les Benozzo Gozzoli du palais Riccardi, le Spagna et le Filippo Lippi du Louvre, en évoquant les Roger van der Weyden, les Rubens et les Rembrandt, de la Pinacothèque de Munich, la Nuit du Corrège, de Dresde, les Véronèse et les Tiepolo, de Londres ; en feuilletant les gravures de la Petite Passion d’Albert Dürer ou, à Chantilly, le livre d’heures illustré par Fouquet, enfin, en étudiant les récens essais de James Tissot, de Burne-Jones et de M. Lerolle, nous verrons transparaître peu à peu, dans l’attitude des personnages divins, ensuite dans le groupe des personnages de la terre, mages et bergers, enfin dans la nature qui enveloppe l’étable et le surnaturel qui la domine, quelque évolution inconsciente ou inavouée, mais très sensible dans le sentiment, la vision, les formes ou dans ce qu’on pourrait appeler l’Esthétique des Noëls.


I

D’abord le Bambino. Il est le centre matériel du tableau comme il est le point magnétique des sentimens. Comme il se trouve être en même temps la plus petite des figures,