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aussi est toute son espérance. Ces visages rudes et irréguliers sont soulevés par une expression bienveillante, attendrie, quasi mouillée de larmes, leurs rides retombantes un instant remontées par un sourire. La construction de la figure est brutale ; son expression est angélique : et c’est là l’idéalisme du moyen âge.

C’est le contraire exactement chez les Bergers de la Renaissance. La construction de la figure y est régulière, idéaliste en ce sens qu’elle répond ou qu’elle s’astreint à une certaine idée de la beauté, mais l’expression est absente. Si cependant elle existe, elle est moins visible ; elle ne transfigure pas un visage qui, déjà céleste au repos, ne peut plus gagner à être transfiguré. D’ailleurs, pour être si beaux, les Bergers de Ghirlandajo que vous voyez à l’Académie, et ceux de Luca Signorelli que vous voyez à Londres, ne sont pas moins vrais que leurs frères en misère, en cotte, en surcotte et en moufles, que vous voyez à Chantilly dans le livre d’Heures d’Etienne Chevalier. Seulement ce sont des paysans d’une plus belle race, et il serait injuste d’accuser de mensonge les artistes dont le seul tort ou la chance fut de naître en pleine terre de beauté. Chez les Italiens primitifs comme chez les Flamands, les Bergers de Noël sont définissables en deux mots : rudes et recueillis.

A la Renaissance et surtout au XVIIe siècle, ils sont civilisés et dissipés. Ils déferlent comme une marée montante sur le groupe divin. Il n’y a plus aucun ordre dans leur arrivée, ni aucune retenue dans leurs mouvemens. Ils deviennent familiers et indiscrets, agitant les volailles qu’ils apportent, arrondissant leurs bras au-dessus de leurs têtes pour porter leurs cruches ou leurs paniers selon toutes les grâces académiques, vrais frères de ces Boumians du noéliste Puech qui scrutent la main de l’Enfant Jésus pour dire la bonne aventure, ou de ces joyeux drilles et ces commères des Noëls bourguignons ou de la Monnoye qui posent à la Vierge, sur le mystère de la Nativité, une série de questions des plus incongrues.

En avançant dans les temps modernes, ils seront plus discrets mais non plus recueillis. On ne verra plus de véritables paysans » mais des travestis selon une formule académique, des Bergers pour crèches de Noël, pifferari de la place d’Espagne, maintes fois aperçus sur les marches du Pincio, qui savent mieux les ateliers rémunérateurs que les pâturages favorables et mieux prendre une pose que conduire un troupeau. Il faut, venir