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par-là, elle change en nos mains la pierre en pain, le pain dans le corps du Seigneur. Parce qu’elle est pur amour et réclame de chacun l’amour, elle fait de l’homme bestial un enfant de Dieu, aux pensées hautes, au cœur dégagé d’égoïsme et préparé pour le sacrifice. La race humaine a vécu des milliers d’années avant le Christ ; des religions sans nombre ont surgi et passé. La loi de l’égoïsme, de la haine, de la vengeance, d’un inutile ascétisme régnait sans partage. Alors vint notre Christ céleste, apportant l’amour ; et c’est pourquoi nulle religion n’a élevé l’homme aussi haut que la chrétienne. La douceur, la bienveillance, la paix, la joie, et le bonheur terrestre dans sa forme pure, toute la perfection humaine qui trouve son expression dans les meilleurs du temps présent, tout cela est l’œuvre du christianisme. Le Christ hait le vice et la bassesse ; mais l’homme, en lui-même, quel qu’il soit, il ne le hait jamais. »

Et voyons encore avec quel tact admirable Rosegger fait parler, au début de la Lumière éternelle, un autre prélat, dont le devoir est d’avertir, d’éclairer un prêtre façonné précisément sur le modèle de ceux que notre poète peint avec complaisance, c’est-à-dire doué d’un cœur chaud, de sentimens humanitaires, et d’aspirations réformatrices. Ce dernier ecclésiastique est un vicaire de la ville épiscopale, qui écrit dans les gazettes, y traitant de la réforme du célibat ecclésiastique, ou de la prédominance dans l’instruction religieuse de l’Evangile sur le catéchisme ; et ce sont là des idées dont nous connaissons déjà un partisan.

L’abbé Wieser se voit alors nommer soudain curé d’une paroisse montagnarde et, mandé par l’évêque, il est reçu avec une bonté toute paternelle : « Ne prenez pas votre transfert pour une disgrâce, lui dit le prélat, car ce n’est pas cela. Vous voilà maintenant curé, homme libre. Par cette nomination, j’ai voulu vous donner l’occasion d’appliquer pratiquement dans un village isolé quelques-unes au moins des idées que vous avez énoncées théoriquement, à titre de publiciste. Je ne vous défends pas d’écrire davantage sur vos plans de réforme, mais je crois que vous y renoncerez de vous-même. Sept cents âmes sont maintenant confiées à votre responsabilités Que le Dieu fidèle vous fortifie et vous protège ! Adieu, Wieser. » Est-il possible de mieux dire, de faire parler plus dignement le langage de la discipline nécessaire dans un corps tel que l’Église, uni à celui de