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interpréter par le sentiment moral, pour humaniser en quelque manière les dogmes et les cérémonies sacrées. Enthousiasme exclusif pour l’Évangile, aversion pour les alliances politico-religieuses, tolérance extrême vis-à-vis du protestantisme. Et, néanmoins, incapacité de renoncer à la communion catholique, où le culte de Marie, les attraits esthétiques des rites, les souvenirs de ses ancêtres et de sa jeunesse le retiennent invinciblement.

En fait, le protestantisme satisferait bien moins que le catholicisme les vagues aspirations sentimentales de ce cœur inquiet : car cette confession enseigne aussi strictement que la sienne l’éternité des peines, la présence réelle, maint dogme que notre homme aime interpréter et transfigurer à sa guise, et elle manque en revanche des élémens mystiques qui lui sont chers. Rosegger est, sur toutes choses, un indépendant, un poète fantaisiste qu’une orthodoxie, quelle qu’elle soit, risque d’effaroucher aussitôt qu’il en sentira les lisières. Telle paraît être l’impression d’un publiciste protestant, qui terminait par ces considérations élevées une récente étude sur Mon Royaume céleste :

« J’irai plus loin : au lieu de reprocher à Rosegger sa persistance à demeurer dans l’Église catholique, tant qu’il considère cette attitude comme conciliable avec les impulsions de sa conscience et avec ses convictions, nous avons plutôt sujet de nous réjouir qu’il se rencontre dans les rangs du catholicisme des hommes ou des femmes d’une piété aussi noble, aussi véritablement digne de l’Evangile que celle qui transparaît à chaque ligne de Mein Himmelreich. Car nous pouvons espérer que, tout en demeurant dans leur confession, ils y travailleront plus efficacement à un accord entre les confessions dissidentes que s’ils rompaient entièrement, définitivement, et publiquement avec le catholicisme ; et que, ainsi, mieux que par une retentissante sortie de leur Église, ils contribueront à réaliser le grand et beau rêve que résume cette parole : « Un seul pasteur et un seul troupeau. »

C’est là précisément la devise du chef de l’Église romaine, et, si l’apostolat un peu incohérent de Rosegger pouvait porter en fin de compte de pareils fruits de tolérance réciproque[1], il

  1. Elle est plus nécessaire qu’ailleurs dans un pays divisé sur ce point comme l’Allemagne, et le prince Max de Suxe, qui a reçu l’ordination et qui est un prédicateur apprécié, se défendait récemment par la voix de la presse « d’avoir jamais laissé tomber de ses lèvres un seul mot qui pût attrister ses frères dissidens, une seule parole d’intolérance confessionnelle. » Allgemeine Zeitung, 10 novembre 1900.