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de femme. A travers les confidences maternelles, il a pu apprécier à ses mérites la fille d’Armandine. Elle débute dans la vie ; elle en a tout à attendre et elle compte bien tout lui demander. Sensuelle et pervertie dès l’âge le plus tendre, elle a une fringale de toutes les jouissances : elle voudra du plaisir, du luxe, du bruit, et un tas de satisfactions auxquelles Courtial est dans l’incapacité de suffire. Voilà justement celle dont il fera choix pour être la compagne de ses années d’automne ! Cela nous dépasse et cela nous renverse. Nous ne comprenons plus. Les auteurs ont-ils voulu nous montrer précisément à quel degré de sottise peut tomber un malheureux chez qui se déclare déjà un peu de ramollissement ? Ont-ils voulu nous le montrer, par une espèce de châtiment, se mettant lui-même la corde au cou ? Mais alors ce à quoi on nous fait assister, c’est aux premiers balbutiemens du gâtisme ! Ce n’est pas gai.

Si encore, sous la poussée du désir, Courtial était brutalement devenu l’amant de Juliette ! Mais pas du tout. Il ne cède pas à la chaleur du sang, il se détermine par le raisonnement. Sa conduite est réfléchie. Il a son plan ; il l’exécute, de point en point, avec froideur et machiavélisme. Il s’est promis qu’il « respecterait » Juliette jusqu’au jour où il aurait parfait son éducation. Il prétend façonner comme une écolière cette jeune rouée et la plier à n’être que l’esclave docile de ses caprices et de ses manies. Il compte sur elle pour être une niaise de couvent. L’idée ne lui vient pas un instant qu’avec ses airs soumis et ses yeux baissés, l’ex-élève de la classe de comédie joue peut-être la comédie : il ne soupçonne pas que cette Agnès puisse être une fausse Agnès. Il est d’une insondable bêtise. Comme le lui dit son ami Jacques, il est idiot. Il l’est au sens littéral du mot. Le spectacle de l’idiotie n’a, par lui-même, rien de plaisant.

Une autre condition de l’intérêt, c’est qu’il y ait, ou dans la suite des événemens, ou dans l’analyse des caractères, un peu d’imprévu. Mais c’est ce qui est bien impossible dans un monde où règne la plus plate uniformité, et dans lequel le tempérament tient lieu de caractère. Depuis la première minute où Courtial se trouve en présence de Juliette, nous savons parfaitement qu’il l’épousera. Et notre conviction est sur ce point si arrêtée que nous prêtons une médiocre attention aux circonstances qui amèneront cet événement. Du jour où Juliette se sera fait épouser, nous savons à n’en pas douter ce qui arrivera. Chacun suivra sa pente et les destins s’accompliront. Réduit dans sa propre maison à une espèce de domesticité, Courtial s’apercevra, un peu tard, qu’il est devenu la proie d’une coquine ; chaque jour