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cela se passe loin de nous, dans une sphère spéciale, où rien ne parvient de ce qui est humain. Étrange aberration du théâtre contemporain qui revient sans cesse à l’étude de ces sujets parisiens les plus pauvres de tous, qui choisit pour thème de la comédie élégante les pires malpropretés, qui s’attarde à une formule usée et figée, quand il y a dans la réalité tant de spectacles curieux, dans la vie tant de sujets encore intacts, dans le cœur tant de problèmes !

Le Joug est merveilleusement joué par Mmes Réjane et Daynes-Grassot. Il est impossible de mieux composer le rôle de Juliette et de le nuancer avec plus de finesse que ne l’a fait Mme Réjane. C’est d’abord une impression de gaité, de jeunesse, de hardiesse. Puis, dans le maintien modeste et dans les airs dociles qu’affecte la future Mme Courtial, nous devinons la rouerie de la comédienne. Enfin au dernier acte, c’est fini de l’enveloppement, des séductions et des grâces : le fond de la nature se révèle, dur, despotique, entêté. Création des plus remarquables, où l’artiste, avec sa souplesse et son adresse coutumières, a fait preuve en outre d’une sorte de simplicité et de sûreté de jeu qu’elle n’avait pas encore montrée à ce degré.

Mme Daynes-Grassot incarne de la façon qu’on peut deviner le type de l’ancienne noceuse devenue loueuse de chaises, de la mère d’actrice faisant métier d’entremetteuse. C’est un mélange d’impudence et de bassesse, de bonhomie et d’infamie, une familiarité, un ton geignard, des retours de dignité, le tout parfaitement impayable.

Les rôles d’hommes, qui d’ailleurs offraient beaucoup moins de ressources, sont tenus suffisamment, sans plus. M. Dubosc, qui joue le rôle de Courtial, a de la tenue, il dit juste, mais sans fantaisie aucune. M. Grand est lourd dans le rôle de Jacques, auquel il ne donne aucun relief.


Nous avions vu l’an dernier de M. Henry Hernstein une comédie fort agréable. Sa nouvelle œuvre est manquée ; je le regrette d’autant plus qu’il est tout à fait nécessaire, dans le théâtre d’aujourd’hui, de conserver sa place à un genre de comédie aimable, légèrement sentimentale, et d’allure distinguée. Joujou est l’histoire d’une femme qui, pour avoir sacrifié à un mouvement de générosité un amour dont elle fût devenue la victime, connaîtra finalement le bonheur calme et solide. Gaie, spirituelle, sans pruderie, Joujou est la femme bon garçon, qu’on prend pour camarade, non pour maîtresse. Elle fait un séjour à la campagne chez ses amis Royère. La femme, maladive et abominablement trompée. Le mari, un don Juan