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IV

La cause est donc entendue. Si nous avons insisté sur cette discussion constitutionnelle, c’est qu’elle met vivement en évidence l’une des principales raisons qui font détester à beaucoup de bons Américains l’expansion coloniale : ils craignent qu’elle n’ait un contre-coup fâcheux sur leurs institutions intérieures dont ils sont si fiers, et qui ont assuré à leur patrie plus d’un siècle de prospérité et d’extraordinaire développement. Vraiment, on ne peut s’empêcher de trouver un fond de vérité à ces appréhensions, lorsqu’on voit dès l’abord cette nouvelle politique entraîner le gouvernement fédéral à reconnaître au Congrès, en certaines matières, des pouvoirs illimités, qu’il n’entrait certainement pas dans la pensée des fondateurs de l’Union de lui conférer pour quelque objet que ce fût. Le caractère essentiel et particulier des institutions américaines n’est-il pas précisément de limiter de la manière la plus stricte et la plus nette les pouvoirs de chaque organe gouvernemental ? — Vous devrez faire ceci, vous pourrez faire cela, vous ne pourrez pas faire telle autre chose. — Voilà comment parlent toujours, en s’adressant aux diverses assemblées ou administrations, les constitutions et les lois de l’Union comme des Etats. Donner un pouvoir absolu sur des millions d’hommes à ce gouvernement institué et organisé pour ne disposer que de pouvoirs bien spécifiés et restreints, cela suffit à en fausser le jeu, à déposer un germe qui pourrait se développer d’une manière dangereuse.

On dira sans doute que le pouvoir absolu conféré au Congrès sur les nouvelles possessions n’est guère que théorique ; qu’en pratique, on revient aux traditions américaines, et que les institutions données aux îles sont fort libérales : à Porto-Rico, le gouverneur américain est assisté d’un Conseil exécutif nommé par le Président des Etats-Unis et dont les membres doivent se composer pour la moitié au moins d’indigènes, puis d’une Chambre des députés élue à un suffrage légèrement restreint ; des municipalités élues existent partout. Aux Philippines, l’organisation que préconisait le rapport de la première commission d’enquête américaine, publié en février 1900, était la suivante : un gouverneur général américain ; à côté de lui, un Sénat dont la moitié des membres seraient nommés par le gouvernement,