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d’une opinion vigilante. Les boss, les grands chefs des comités, considèrent déjà ces places comme leur proie.

Comment des hommes ainsi recrutés pourraient-ils avoir le doigté nécessaire au gouvernement d’un pays si différent du leur, habité par des gens si peu semblables à leurs compatriotes, alors qu’il est déjà très difficile aux Américains, même aux meilleurs d’entre eux, de comprendre les insulaires et de se rendre compte que leurs propres méthodes de gouvernement ne sauraient toujours convenir aux Antilles ou aux Philippines ? A Cuba, avec les meilleures intentions du monde, ils ont ainsi commis en deux ans d’occupation des fautes graves : telle l’institution du mariage civil, réforme excellente en elle-même, mais qui aurait dû être appliquée avec beaucoup de ménagemens, qu’on a voulu rendre obligatoire du jour au lendemain, et sur laquelle il a fallu revenir ; en outre et surtout, ils ont choqué la population par toute leur manière d’être, au point que beaucoup de gens ne les aiment pas mieux que les Espagnols, dont les défauts étaient peut-être plus nombreux, mais ressemblaient du moins à ceux des créoles et leur étaient moins antipathiques. Aux Philippines, il se pose certaines questions des plus épineuses, surtout celle des ordres religieux et de leurs biens, celle aussi du maintien de l’union de l’Eglise et de l’Etat. La plus grande liberté d’esprit est nécessaire pour les résoudre ; l’application de but en blanc des méthodes américaines, la séparation immédiate de l’Eglise et de l’Etat, peut amener le chaos. Ce ne serait pas trop d’hommes choisis avec le plus grand soin, en seule considération de leurs capacités, pour décider des mesures à prendre et même pour les appliquer en détail.

Ainsi, l’un des grands vices de la machine gouvernementale américaine, le mauvais recrutement des fonctionnaires, peu sensible en Amérique même, parce qu’ils sont relativement peu nombreux et que leur sphère d’action y est étroitement limitée, doit avoir de beaucoup plus fâcheux effets aux îles où il y en aura plus et où ils seront plus puissans.

Quant à la répercussion qui en résultera sur le gouvernement fédéral, elle est évidente. Le parti au pouvoir, disposant de plus de places, aura plus de moyen d’influencer les électeurs, ce qui est toujours fâcheux ; en outre, les fonctionnaires qui auront résidé aux colonies en reviendront avec des idées sur les attributions gouvernementales très différentes de celles qui ont cours