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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/174

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aimée que dans la décadence. Quand les choses se rencontrent ainsi, mieux vaudrait que le souci de la composition ne fût jamais connu, parce que dans ce cas on n’use que de la composition artificielle, qui est pire que l’absence de composition. On regrette souvent que Victor Hugo compose trop bien, car il compose, souvent du moins, par le dehors, et c’est comme « un parallélisme et une architecture extérieure » qui pénètre pour ainsi dire dans la pensée et lui commande et l’ordonne et la règle au lieu d’être réglée et ordonnée par elle, et ce n’est que trop souvent, sinon le défaut, du moins le mérite regrettable des Alexandrins.

L’histoire d’une littérature, au point de vue du souci et de l’art de la composition, serait très intéressante. On y verrait qu’il faudrait que ce souci et cet art ne vinssent ni trop tôt ni trop tard et qu’ils se rencontrassent, par une coïncidence heureuse, avec l’éclosion des génies puissans, originaux et calmes ; car le souci et l’art de la composition dépendent de lois historiques, et la venue de génies puissans n’en dépend pas. Il faut donc une rencontre qui aboutit à une réussite. Les grands génies portent sans doute leur instinct de composition avec eux ; mais ils ont de ce mérite particulier un souci plus ou moins grand selon leurs entours et les exigences plus ou moins nettement senties de leur public. C’est à la composition plus ou moins parfaite qu’on mesure non point le génie des auteurs, non point même leur talent, mais le degré d’intelligence et de goût littéraire de la foule qui les écoute, qui ne les inspire pas, mais qui leur impose, et qui règle leur allure. Cette histoire de la littérature grecque au point de vue de la composition de l’œuvre d’art, on en trouvera très bien les élémens, au moins, et les traits essentiels, dans l’ouvrage de M. Henri Ouvré.


II

Je ne dissimulerai pas que certaines qualités de M. Ouvré le mènent jusqu’au point où elles pourraient prendre un autre nom, et que, ce point, il ne laisse pas de le dépasser. C’est une méthode aventureuse et dont il est sur le point d’abuser que de juger une époque littéraire, non sur ce qu’elle a laissé, mais sur ce qu’elle n’a point laissé, et de l’estimer inférieure parce que le temps a détruit ses œuvres et de la tenir pour vide parce que le hasard y a creusé des lacunes. Mon Dieu, oui, le hasard.