La qualité de M. Ouvré est de n’y pas croire et son défaut est de n’y pas croire un peu. Il raisonne toujours ainsi, fort bien sans doute, mais trop rigoureusement : les œuvres qui ont disparu étaient mauvaises. Elles étaient mauvaises, puisqu’elles n’ont pas été assez reproduites pour nous être parvenues. « Les poèmes cycliques ont péri… S’ils ont disparu complètement, c’est qu’ils ne s’imposaient pas à l’attention. » La tragédie attique, après Euripide et Sophocle disparus, « végète pendant un siècle. » Je n’en sais rien ; mais M. Ouvré le sait parce que les ouvrages des successeurs de Sophocle et Euripide ont sombré. Il le sait trop ; il en est trop sûr. « L’anéantissement des néo-cycliques, des néo-lyriques, des tragiques après Agathon et Euripide atteste qu’ils n’avaient pas assez de vigueur pour vaincre la paresse des copistes byzantins. » Quand on songe au hasard, et certes c’est ici peut-être que ce mot a un sens, qui a été la cause ou de la disparition ou de la conservation des manuscrits, quand on songe de plus que tous les manuscrits à retrouver ne sont pas retrouvés encore, et qu’on en déterre tous les jours et qu’on en déterrera sans doute beaucoup plus qu’on n’en a trouvé, parce qu’on sait mieux et qu’on peut mieux fureter et fouiller qu’autrefois, quand on songe à tous les hypogées d’Egypte qui restent à ouvrir et à Herculanum à peine entamé, on sent combien le raisonnement de M. Ouvré est hasardé, et on conclut que, sur les époques de la littérature grecque sur lesquelles on ne sait rien, il faut dire tout simplement qu’on ne sait rien.
Ce raisonnement, à la vérité, M. Ouvré l’appuie de quelques observations des critiques anciens peu favorables à ces mêmes ouvrages que le temps a détruits ou semble, jusqu’à plus amples découvertes, avoir abolis. Mais le raisonnement se retourne. De ces critiques anciens eux-mêmes nous n’avons que des fragmens et des débris. Tel a subsisté tout entier. Etait-ce un Valincourt ou un Subligny ? Etait un Voltaire ou un Fréron ? Etait-ce un Sainte-Beuve ou un Mirecourt ? Ce n’est pas si facile à distinguer. Le jugement de la critique antique, pour ce qui est de nous renseigner sur les ouvrages antiques disparus, ne serait recevable que si nous possédions la critique ancienne tout entière. Nous en possédons un centième. Quand je dis un centième ! Nous en possédons une quantité qui, en proportion bien établie, avoisine zéro, et doit être, en bonne méthode critique, tenue pour zéro. Et voyez des signes au moins que ce que je dis est assez