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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/248

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sur cette misérable terre, pour une activité sérieuse et féconde des architectes, des sculpteurs et des peintres ? Les gouvernemens monarchiques et les académies officielles ne nous enseignaient-ils pas obstinément, malgré les protestations de la Grèce et de l’Italie, que les arts, dits de la paix, ne sauraient bien fleurir que sous l’abri silencieux des régimes réguliers ? En réalité, c’est depuis une trentaine d’années seulement que la facilité croissante des voyages instructifs et des comparaisons rapides, l’invention et l’extension de moyens de reproduction, par le moulage et la photographie, plus exacts et moins dispendieux que l’ancienne gravure, l’installation, au Trocadéro, du Musée de sculpture comparée, le retentissement donné à de justes revendications par la propagande vaillante de Courajod à l’Ecole du Louvre, ont enfin, au-delà du monde spécial des amateurs et des érudits, ouvert les yeux de tous ceux qui veulent bien voir, et, pour tous les esprits impartiaux, rétabli la vérité. La vérité, c’est que, durant le XVe siècle, même dans les provinces envahies, même dans l’Ile-de-France qui, de toutes, eut le plus à souffrir, le travail des artistes ne fut guère interrompu ; que les provinces éloignées ou indépendantes, Lyonnais, Bourbonnais, Provence, Languedoc, Bourgogne, Artois, Flandre, Comtat-Venaissin, ne furent jamais plus productives ; c’est qu’enfin, lorsque la paix fut conclue, dans une admirable explosion de joie réparatrice, toutes les régions les plus endolories, la Normandie, la Champagne, la Guyenne, l’Orléanais, la Touraine, se remirent au travail, relevant les églises, bâtissant les palais, embellissant les logis avec une rapidité et un entrain sans exemple. Historiens et économistes ont déjà constaté que les règnes de Louis XI, Charles VIII, Louis XII ont été la période la plus heureuse pour les ouvriers, les paysans, les marchands, à cause de l’élévation des salaires et de l’abondance des vivres. C’est aussi la période durant laquelle la France produisit le plus d’œuvres d’art ; ce qui nous reste encore, malgré toutes les destructions, d’édifices publics ou privés, de sculptures, de vitraux, de tapisseries, de meubles, d’orfèvreries, de miniatures, de gravures, suffit à en donner la preuve.

La vérité encore, celle qui explique, jusqu’à un certain point, de si longs et injustes mépris, c’est que cet art, disséminé sur un vaste territoire, en des milieux divers, transmis uniquement par l’enseignement pratique et local, sans une tradition