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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/254

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région. Ce sera un Fouquet, paysan sceptique et irrévérencieux, poursuivi pour avoir gardé son chapeau devant un convoi funèbre, qui fournira à Paul-Louis Courier l’occasion de son premier pamphlet. Le nom sent son terroir, la physionomie de l’homme aussi, comme on la peut si bien connaître dans la plaque d’émail (Musée du Louvre), où le peintre s’est représenté lui-même, en signant Johannes Fouquet. La fabrication de l’émail est italienne, mais le jeu savant et délicat des hachures et pointillés d’or sur les modelés, semblable à celui de ses miniatures, atteste, non moins que la fermeté du dessin, la personnalité, si particulière, de l’artiste. Rien de plus français, de plus français du Centre, de plus tourangeau que ce type. On en rencontre, encore aujourd’hui, entre Cher et Loire, sur les marchés, dans les métairies, presbytères, écoles, de vivans exemplaires à chaque pas. Visage osseux, de structure robuste, assez mal équarri, peu de sourcils, front large et découvert, le nez fort et comme écrasé, les lèvres charnues et serrées, l’œil bien ouvert, le regard net et perçant, quelque chose à la fois de rustique et d’avisé, de paysan et de bourgeois, d’homme d’affaires et d’homme d’église, le type maigre et triste de Descartes et de Paul-Louis, plus que le type gras el jovial de Rabelais et de Balzac. La face imberbe, les tempes rasées, les courts cheveux cachés sous une calotte étroite, contribuent encore à accentuer le caractère plébéien et simple de cette figure ferme et douce dont la gravité pensive inspire confiance et respect.

Fouquet, comme la plupart de ses confrères, sortait-il d’une de ces familles modestes d’artistes-ouvriers où la pratique de la peinture et de la sculpture était héréditaire ? On peut le penser Vers 1400, un miniaturiste, Huguet Fouquet, travaillait à Paris pour les ducs d’Orléans et de Touraine. Lui-même devait faire souche d’artistes. Ses fils, Louis et François, deviennent de bonne heure ses collaborateurs assidus, et c’est probablement un troisième fils qu’on trouve, en 1498, avec des compagnons tourangeaux, maître d’œuvres au château de Gaillon. En tout cas, il put s’instruire à Tours : les beaux exemples et les bons peintres n’y manquaient pas. Depuis un temps immémorial, il y avait, dans l’abbaye de Marmoutier et à la basilique Saint-Martin, des ateliers et des écoles célèbres de miniaturistes. Malgré la destruction ou la dispersion, à jamais déplorable, des trésors d’art qu’on y conserva jusqu’à la Révolution, on peut encore suivre