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et affectés d’un léger strabisme, grande bouche, lèvres épaisses, l’oreille ronde et trop forte, la main gauche sur une balustrade. Costume très simple : toque noire, vêtement noir, avec un fermail au col, une exquise orfèvrerie. L’œuvre est datée de 1456, en caractères capricieux comme ceux de l’émail du Louvre. M. Friedlander croit y trouver un autre portrait de l’artiste ; c’est, je crois, une erreur. Malgré quelques traits voisins dans les types, la structure des maxillaires, la disproportion dans la grandeur des yeux, on ne saurait reconnaître, à Paris et à Vienne, le même personnage. Peut-être y a-t-il entre eux un air de famille ; peut-être avons-nous là le portrait d’un frère ou parent de Fouquet. Quoi qu’il en soit, c’est un type très français aussi, analysé et individualisé avec une énergie et une finesse tranquilles qui en font encore un chef-d’œuvre.


V

Si grande que soit la valeur des portraits de Fouquet, c’est bien mieux encore, c’est seulement dans ses miniatures que se peuvent à plein connaître et mesurer l’originalité et l’étendue d’un talent si personnel et si novateur qu’on serait tenté de l’appeler du génie, si ce mot glorieux n’avait, de notre temps, perdu toute sa valeur par le sot abus qu’en font la vanité, l’ignorance et la flatterie. Talent ou génie, d’ailleurs, peu importe, car la personnalité de Fouquet, suivant la loi commune, n’est point une fleur qui se soit épanouie hors de saison, sans semence, sans culture ; on en peut mettre à jour les racines, comme on peut montrer, autour d’elle, d’autres fleurs presque aussi parfumées et charmantes. Fouquet n’est pas le seul qui, vers le milieu du XVe siècle, sut excellemment combiner les traditions réalistes des Flandres, précisées par les enlumineurs du Duc de Berry et du Duc de Bourgogne, avec les traditions expressives des miniaturistes français, sous l’action encore flottante, le plus souvent indirecte, mais déjà irrésistible, de l’art italien. On en pourrait citer de nombreux exemples à la Bibliothèque Nationale et dans presque toutes les grandes bibliothèques de l’Europe. Qu’il nous suffise de rappeler les admirables miniatures du missel de Jouvenel des Ursins, brûlé en 1870 à l’Hôtel de Ville de Paris, dont il nous reste quelques gravures, celles du Froissart de la Bibliothèque Nationale, celles du roman de la Doulce Mercy, par