essentielles et durables de notre génie, avec une telle supériorité, qu’on aura peine, après la crise éphémère du XVIe siècle, à les retrouver et les dégager, par lents efforts, de nos routines et de nos préjugés, aussi nettement que lui.
C’est à la fois dans la composition, l’observation, l’expression, l’exécution, que Fouquet déploie son originalité, qu’il pressent et essaie toutes les ressources du génie national. Sans rien perdre des traditions franco-flamandes de l’âge précédent, qui avaient éveillé en lui l’amour naïf et profond de la nature et de la vie, il choisit, dans les enseignemens de l’Italie nouvelle ; avec un tact admirable, il choisit seulement tout ce qui peut éclairer et épurer cet amour. Cette double assimilation, en regardant tantôt le Nord, tantôt le Midi, qui deviendra de règle pour les peintres français, s’opère déjà chez lui avec une aisance et une liberté exemplaires. Il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser les deux premières feuilles des Heures de Chevalier, le frontispice, comme on pourrait faire toutes les autres.
Une même scène, à la fois idéale et réelle, s’étend sur les deux feuilles qui, dans le livre relié, devaient se faire face. À droite, un portail d’église, en style flamboyant, avec des statuettes dorées de rois, saints, prophètes, anges, s’étageant dans les montans et voussures, sous des dais fleuris : c’est la France. Dans la baie du portail, une niche cintrée, à coquille antique, soutenue par deux colonnettes corinthiennes en lapis lazuli, sur un fond de panneaux rectangulaires, dans la même matière : c’est l’Italie. Dans cette architecture internationale, composée avec un goût parfait, se tient la Vierge, assise, drapée en un grand manteau d’azur, dont les plis abondans ondoient, s’accumulent et s’étalent avec une excessive ampleur : c’est la Bourgogne. La Vierge, elle-même, blonde, grassouillette et fraîche, portant la haute couronne emperlée, ressemble à celle de Melun comme une sœur cadette, plus candide et moins mondaine ; même largeur du front, même absence de sourcils, même finesse du nez et des lèvres, même abondance et blancheur de la gorge : c’est la Touraine. Le Bambino, plus souple et vivace qu’à Melun, tette avidement cette belle gorge qu’il caresse des deux mains. C’est un bel enfant, bien découplé, naturel et joyeux ; ni le nouveau-né anguleux et recroquevillé des Flandres, ni le puttino lourd, à grosse tête, comme gonflé dans ses bourrelets charnus, de Florence, mais un bon petit Français, leste, prêt à jouer et