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rire. Ni lui, ni sa mère, d’ailleurs, n’affectent un sentimentalisme mystique. Ce groupe d’une nourrice royale et d’un nourrisson royal est charmant, chaste et digne, sans nulle recherche d’idéalisme. Mais le recueillement pieux de la mère est si naturel, la gaîté de l’enfant est si franche, que cette sincérité délicieuse suffit à ravir les yeux et la pensée, et que notre imagination enchantée ne s’étonne point de voir, devant ce groupe divinisé, se tenir respectueusement à distance, pour l’adorer, une nombreuse assistance.

Ce n’est plus, ici encore, l’assistance, immobile et muette, des saints et des saintes, simplement rangés, en Flandre comme en Italie, près des donateurs en prière, aux côtés d’une figure divine. La scène est vivante, la scène est réelle ; c’est un concert, un concert dans une chapelle florentine, lambrissée de boiseries, avec pilastres cannelés à chapiteaux fleuronnés (les chapiteaux de Fra Angelico) encadrant des plaques de lapis autour d’un pavimento de marbres précieux. Sur la corniche classique de la spalliera gambadent, tenant les écussons du trésorier, avec de longues guirlandes de feuilles de laurier suspendues à leurs épaules, des enfans nus et ailés, les amours et les génies des bas-reliefs romains, les putti de Jacopo délia Quercia, Donatello, Desiderioda Settignano, Minoda TiesoIe, etc., qui se croient des anges pour la circonstance. Le ciel pur et chaud qui éclaire cette salle hypètre est d’un bleu intense, égal, profond, méridional.

Tout ce décor, portail, statues, lambris, est encore avivé par une pluie d’or, rehauts, hachures, pointillés, qui, en certains endroits, couvre des parties entières. Les cheveux de la Vierge, sa couronne, les cordons de sa robe, sont en or pur ; sur les plis de son manteau, les clairs éclatent dans un piquage d’or. Il en est de même pour les autres figures : dans leurs cheveux, sur leurs vêtemens, même semis d’or, répandu et distribué d’une main si délicate que, tout d’abord, on le remarque à peine Etienne Chevalier, le donateur, échappe seul à cette prodigalité, parce qu’il est, dans la pensée de l’artiste, le seul personnage réel assistant au spectacle. Nous retrouverons, dans toutes les miniatures de Fouquet, cet emploi constant de l’or, qui, réparti avec une délicatesse unique, leur donne le brillant et la solidité des émaux. Tandis que les nouveaux Toscans dédaignent et suppriment tout à fait, comme des surcharges inutiles, les placages