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la grâce d’un délicat visage ou d’une belle gorge féminine. Aucun accès de trivialité populacière et sardonique dans la joie évidemment sympathique qu’il apporte à représenter les labeurs et les jeux des petites gens. A peine cet esprit d’observation comique, qui est l’esprit du terroir, se trahit-il chez lui deux ou trois fois, par quelque trait jovial, et presque toujours bien placé ; ainsi, dans le Mariage de la Vierge, l’un des prétendans évincés, quelque gros argentier ou marchand, brise, avec un dépit de Turcaret-Prudhomme, sa baguette stérile sur son genou ; ainsi, dans la Sainte Apolline, scène cruelle de torture au milieu des préparatifs d’une représentation théâtrale de Mystères et Soties, on voit s’enfuir un fou relevant ses grègues tombantes ; l’entourage justifie suffisamment l’épisode. Ces traits grotesques sont assez rares. Est-ce à son séjour en Italie, parmi des artistes d’une culture plus délicate, est-ce à ses fréquentations de protecteurs et de conseillers bien choisis, dans la société cosmopolite de Tours, qu’il dut de savoir garder cette retenue si contraire aux habitudes de ses contemporains ? En tout cas, l’exception est à noter, et cette pureté d’imagination s’ajoute à la fine et franche bonhomie du peintre pour en faire un des types les plus sympathiques de notre première Renaissance.

En bon Français qu’il est, ayant, dans sa jeunesse, assisté aux tristesses de l’occupa lion étrangère, partagé les joies de la délivrance, assisté peut-être à quelques batailles, et vivant, à. Tours ou à, Paris, au milieu des revues, tournois et parades, il raffole, d’ailleurs, des hommes d’armes, des uniformes bigarrés, des armures étincelantes, des harnachemens luxueux, de tout cet appareil militaire auquel l’organisation récente d’une armée nationale donnait un nouveau prestige. Il aime surtout les cavaliers parce qu’il adore les chevaux. Aucun artiste au XVe siècle, même Vittore Pisano, qu’il rappelle souvent et qu’il dut étudier, n’a mieux connu, en le pratiquant sans doute, et n’a mieux dessiné le cheval. A côté de ses bêtes fines, élégantes, aux souples allures, les destriers épais de Paolo Uccello, avec leurs ruades et piaffes en raccourcis laborieux, semblent des animaux pesans de somme ou de labour, et les montures énormes des combattans maladroits de Piero délia Francesca paraissent des masses immobiles, exsangues et sans ressorts. Avant les fresques de Schifanoia et les cartons de la bataille d’Anghiari, on ne verra nulle part des coursiers plus agiles ni une gendarmerie mieux