soudons-la à notre Constitution, incorporons-l’y ; et que, de la même façon, selon la même procédure que la Cour Suprême des Etats-Unis empêche la loi d’outrepasser la Constitution fédérale, une Cour Suprême de France soit chargée d’empêcher que rien ne puisse être fait, par le législateur, au moyen de la loi, qui soit en contradiction ou en désaccord avec la Constitution française, Déclaration des Droits comprise.
Un exemple. L’article 4 de la Déclaration de 1791 est ainsi conçu : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ;… l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits… » Si la Déclaration des Droits eût fait partie intégrante de la Constitution, si nous avions eu une Cour Suprême, et si des citoyens lésés dans leur « liberté » et dans « l’exercice » de leurs droits naturels » eussent porté devant elle certaine loi récemment votée, pense-t-on que la Cour eut pu ne pas la condamner comme attentatoire à la Déclaration des Droits, c’est-à-dire à la Constitution même ? Autre exemple. Sur l’article 6 : « Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux (aux yeux de la loi), sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talens ; » pense-t-on que certaine loi, dont on nous menace, ne serait ; pas atteinte du coup, et que le tranchant ne s’en émousserait pas, — lelum imbelle sine ictu, — si nous avions une Cour Suprême ; si quelqu’un de nous l’y déférait, — vous, moi, X. ou Y. contre Leygues, je suppose ; — si la Déclaration des Droits était dans la Constitution et de la Constitution ; si nous avions, au lieu du parlementarisme illimité, le parlementarisme limité ?
Mais limiter le parlementarisme, n’est-ce pas limiter la souveraineté nationale ? et il y a des mines qui s’effarent, et il y a des gens qui s’effraient. A ce « mais, » à cette objection, — on en trouve toujours à tout, — il faut répondre avec une pleine franchise. Je ne suis pas de ceux qu’arrête la superstition des mots, et, fort au-dessus des prétendus dogmes d’une prétendue philosophie politique, je place les réalités, dont la première est la nécessité de vivre, et, pour vivre, de respecter les conditions de la vie, ce qui fait la vie commune acceptable et supportable à tous. J’aime mieux que la nation vive en limitant sa souveraineté que de se suicider pour ne la limiter point. Or, c’est l’alternative ;