Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou laisser le parlementarisme illimité légiférer tout à son aise, en long et en large, et d’un bout à l’autre, et, s’il le veut, abolir successivement toutes les « garanties, » toutes les « libertés, » tous les « droits, » supprimer toute « sûreté, » ruiner toute « propriété, » enchaîner toute « résistance à l’oppression, » couper en deux la nation, y rétablir à notre usage une sorte de servitude civique, et faire par la loi la révolution sociale ; — ou bien le limiter, sans retard, et pas après-demain, — demain. Le débat est à présent entre la démocratie absolue et la démocratie constitutionnelle, comme il était jadis entre la monarchie absolue et la monarchie constitutionnelle. La démocratie absolue, comme la monarchie absolue, c’est l’arbitraire et la tyrannie, mais c’est l’arbitraire double et c’est la tyrannie multiple. Il n’y a contre elle que deux recours : la Constitution ou l’insurrection. Hésiter serait criminel.

Des trois moyens connus de limiter le parlementarisme : juridiquement, par une Cour Suprême, populairement, par le referendum, despotiquement, par diverses combinaisons, la meilleure, incontestablement, incomparablement, est le moyen juridique, la Cour Suprême. Nous conclurons donc, nous Français, pour qui il y a urgence à limiter le parlementarisme, que la France devrait se hâter de se donner une Cour Suprême, imitée, avec les modifications que conseillent les différences historiques ou politiques, de celle des États-Unis. Au prix des bénéfices que nous en retirerions, la difficulté de former et de recruter cette Cour, les autres difficultés que l’on peut prévoir, ne sont rien. Maintenant, ailleurs qu’en Amérique, le parlementarisme à l’américaine, le parlementarisme limité, réussirait-il ? M. James Bryce semble en douter[1]. Mais nous, s’il est une chose dont nous ne doutons plus, c’est qu’en France, et partout sur le continent, le parlementarisme illimité, le parlementarisme à l’anglaise, a pitoyablement et irréparablement échoué. — Ou nous nous ferons un autre parlementarisme, ou c’en est fait du parlementarisme.


CHARLES BENOIST.

  1. James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 372.