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trouver les pâturages et les sources nécessaires à leurs troupeaux, aurait-on pu établir une démarcation précise, respectueuse de toutes ces traditions et de toutes ces coutumes des nomades, qui sont plus fortes que les conventions diplomatiques, parce qu’elles sont fondées sur la nature même et sur la nécessité primordiale de vivre ? Et d’ailleurs, déterminer une ligne frontière, n’était-ce pas renoncer au droit de suite, reconnu par le traité de 1845 et qui seul permet d’atteindre des dissidens ou des coupables en fuite à travers la steppe ? Dès cette époque, le représentant de la France à Tanger, M. Bourée, bien placé pour apercevoir les inconvéniens majeurs de la fixation d’une frontière, y était nettement opposé. « Une ligne frontière, écrivait-il en 1849, au-delà de laquelle commence cette chose sérieuse qu’on appelle une violation de territoire, éveille des idées dont la gravité et la rigueur ne sont probablement jamais entrées dans l’esprit d’un souverain maure ni de ses ministres… Si cela est vrai, avons-nous bien intérêt à établir entre le Maroc et nous quelque chose de précis qui engagerait notre respect pour la légalité et n’engagerait jamais aussi sérieusement nos voisins ?… » L’on ne pouvait mieux dire : une frontière n’eût été un obstacle que pour nous. « En règle générale, écrivait de son côté M. Waddington, en 1881, l’absence de limites officielles entre deux États est toujours au détriment du plus faible ; » et il insistait pour qu’on ne se luttât pas de préciser ce que les négociateurs de 1845 avaient heureusement laissé indéterminé. A un autre point de vue, « serait-il sage, comme l’écrivait, le 18 janvier 1886, le ministre de l’Intérieur, de reconnaître le droit absolu de l’empereur du Maroc sur des territoires où son autorité n’est que nominale et sur des tribus auprès desquelles une politique habile et persévérante peut nous permettre de développer les moyens d’action que nous créent nos rapports de voisinage ? » Ne fallait-il pas enfin considérer que tous ces incidens, survenus dans la zone mitoyenne, sont affaires de police intérieure où les puissances étrangères n’ont aucun prétexte pour s’immiscer : n’en aurait-il pas été tout autrement dès qu’une frontière fixe aurait été définitivement adoptée ? « Le traité de 1845, disait en 1850 M. Bourée, permet toujours d’établir pour des tiers que, quelque chose que nous fassions (en dehors de l’occupation de Figuig), nous restons dans le texte et l’esprit du traité. »

A maintes reprises, les événemens vinrent montrer combien