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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/40

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d’honneur et de raison d’État à entrer dans sa querelle, à le secourir, et, si son entremise auroit peu profité, il doit tacher d’y amener par de justes armes ceux que des raisons et prières n’auroient pu fléchir, appelant et surveillant sous son autorité, par une conspiration nécessaire, toutes les puissances de l’Europe intéressées en ce fait et directement opposées au dessein d’Espagne. »

Luynes recevait donc cette lettre de Vienne et, en même temps, la nouvelle de la bataille de Prague ; et cette dure leçon des faits était encore plus éloquente que la parole des ambassadeurs. La Maison d’Autriche rétablie ; l’Espagne maîtresse du Rhin et menaçant l’Alsace dont elle avait tant envie ; la Hollande, inquiète, cherchant de toutes parts du secours ; le Palatin chassé de la Bohême et traqué dans ses États ; l’Europe envahie, soudain, par l’ombre grandissante de l’Empire de Charles-Quint reconstitué : tels étaient les résultats de l’habile manœuvre diplomatique accomplie à Ulm !

Si encore on avait su ce qu’on voulait, où on allait ; si on avait fait payer à la Maison d’Autriche ce secours inespéré ; mais non ; on avait été surpris, même par le succès. On était battu par sa propre victoire. On avait tout compromis, même l’honneur. Le dessein avait été nul, les actes étaient dérisoires, les hommes restaient ridicules. Ulm sera, pour la mémoire de Luynes, une tache ineffaçable.

L’histoire, abusée par les témoignages contemporains et mal renseignée d’ordinaire sur le secret du cabinet, est, d’ailleurs, si négligente qu’elle sait à peine démêler, dans l’entassement des faits qui la sollicitent, ceux qui sont d’une importance décisive. D’ailleurs, quand il s’agit de politique internationale, les conséquences des résolutions prises ne se développent que lentement. Il faut des années pour que le germe devienne fleur ou fruit ; il y a beau temps que ceux qui l’ont déposé ont disparu de la scène du monde !

Si, dans cette crise de 1621, qui est à peine mentionnée par nos histoires, la France eût eu à sa tête un gouvernement ferme ou prévoyant, les maux de trente ans de guerre eussent probablement été évités. À cette date, une parole dite par le roi Louis XIII, une attitude prise par lui, un langage ferme tenu par ses ministres, eussent changé le cours des choses. Par la suite, il a fallu la double et étonnante carrière d’un Richelieu et d’un Mazarin, il a fallu le génie militaire des Gustave-Adolphe, des