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de se les voir imputer ou tout au moins d’être accusé d’avoir travaillé à leur correction, Voltaire se rendit auprès du résident de France à Genève, le baron de Montpéroux, et lui demanda conseil. Il se voyait déjà, sinon arrêté pour crime de lèse-majesté, tout au moins écarté à jamais de la Cour de France près de laquelle il ne désespérait pas de rentrer tôt ou tard en grâce. Que devait-il faire pour sortir de cette position délicate ?

L’avis de M. de Montpéroux fut qu’il serait sage de prendre les devans et d’essayer de se concilier la faveur de la marquise de Pompadour au lieu d’en attendre les colères. Comprenant tout le parti qu’il pourrait tirer des avances auxquelles on le conviait, Voltaire adressa donc Iode de Frédéric à Choiseul, alors ministre des Affaires étrangères et favori de la favorite. Le prix de son avance officieuse devait être le renouvellement des franchises de Ferney, premier gage d’un retour favorable dont il entrevoyait tous les avantages. La réponse du duc de Choiseul lui apporta la preuve qu’il ne s’était pas trompé dans ses prévisions sur un heureux changement à son égard :


A Versailles, ce 20 avril[1] (1759).

« J’espère, mon cher solitaire suisse, que vous aurés[2] votre brevet pour votre terre, mais je suis astraint à des formes de maître des requêtes sur cet objet, d’autant plus que cette expédition ne nie regarde pas parce que je n’ai point de provinces dans mon département, au lieu que M. Rouillé avait le Dauphiné, ce qui le mit dans le cas d’expédier le brevet du président, de Brosses Je ne vous fais tout ce narré ennuyeux que pour vous prouver que je ne néglige pas ce qui vous intéresse. J’ai fait connaître au Roi la façon dont vous vous êtes conduit à l’occasion de la pièce de vers du roi de Prusse, mais je n’ai pas mis sous les yeux de Sa Majesté cette pièce ; je crois qu’il est inutile que les rois connaissent qu’ils ont des confrères assés petits et assés indécens pour faire d’aussi mauvais vers. Le roi de Prusse n’est pas meilleur poëte qu’il n’est valeureux guerrier ; cependant sa qualité de roi, son ambition, son désir extrême de gloire et la peine qu’il se donne pour que l’on croye qu’il en mérite, fera que

  1. Cette date du 20 avril ne s’accorde pas avec ce que dit Voltaire dans ses Mémoires, lorsqu’il rapporte au commencement de mai l’arrivée du paquet contenant l’ode de Frédéric. Il y a là de la part de Voltaire une erreur de détail.
  2. L’orthographe originale a été respectée.