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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/443

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que je le trouvais conséquent, au lieu qu’actuellement l’on ne peut pas dire que nous ayons une base solide, et qu’il sera nécessaire de créer après cette guerre un nouveau système, position toujours délicate pour les grands Etats. Il est peu important pour un royaume et son histoire que Pierre ou Paul soient ministres, et Jeanne ou Marguerite maîtresses, mais, quand on n’est pas ou fol ou le plus étourdi des hommes, on doit trembler de contribuer à déranger ce que les cardinaux de Richelieu et de Mazarin, avec M. d’Avaux, ont édifiés, ce qui a été soutenu pendant soixante ans par Louis XIV et qui a contribué aux succès de son règne et au lustre de sa nation. Il faut être présomptueux à l’excès pour imaginer que l’on substituera au système de ces grands hommes un système équivalent. Voilà cependant la position où nous sommes : cinquante lieues du Canada, la Silésie et la Prusse de plus ou de moins ne sont pas ce qui m’inquiètent, douleur aux vaincus, mais la création d’un système nouveau m’effraye et me fait penser jour et nuit. Vous trouvères, à ce que j’espère, mon cher Solitaire, que je suis prudent et que j’ai raison de réfléchir beaucoup sur la situation de l’Europe après la paix, car c’est de là d’où dépend le bonheur ou l’infortune de l’univers pendant un siècle.

« Quant à Luc, c’est un fol, tout est dit, voilà en quoi consiste le malheur actuel. Si vous lui écrives jamais de nous et lui mandés que vous m’avés fait part de sa décision de ne jamais nous parler de paix, répondés-lui que j’ai répliqué qu’il n’était pas nécessaire qu’il en jurât et qu’il peut être sûr qu’il n’a qu’à se taire ; nous ne lui parlerons pas les premiers ; nous ne lui avons jamais parlé et sommes bien éloignés d’en avoir le moindre désir. Quant au moment présent, c’est notre gloire que les Anglais s’acharnent à soutenir Luc ; plus ils se ruineront pour lui et plus j’en rirai ; la paix ne se fera pas. Si Luc n’existait plus, nous serions trop heureux d’avoir la guerre tête à tête avec les Anglais ; ils seraient bientôt à la raison, malgré leurs 400 vaisseaux. Il est incroyable combien leur commerce a perdu cet hyver par nos armateurs ; or l’Angleterre doit choisir d’être une puissance commerçante ou une puissance militaire, l’on ne peut pas être l’un et l’autre à la fois ; si Luc la rend militaire, l’Europe sera heureuse, car le commerce sera partagé, si elle abandonne les armes pour le commerce, elle aura de l’avantage, mais nous aurons la paix. Luc est un chien enragé, qu’il