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REVUE LITTÉRAIRE

ALEXANDRE DUMAS PÈRE

« Grand homme tout à fait ! dit Sganarelle : un homme qui était plus grand que moi de tout cela… » Au sens où l’entend Sganarelle, il n’y a pas de doute qu’Alexandre Dumas n’ait été un grand écrivain, dépassant de beaucoup Chateaubriand, Balzac et même Victor Hugo, l’un des plus grands écrivains de son temps, comme Thiers et Louis Blanc en étaient les plus petits. C’était un géant, et aucun de ceux qui nous ont parlé de lui, afin de nous le faire admirer, n’a négligé de nous renseigner sur cette particularité de sa complexion physique : c’était un homme qui n’avait pas son pareil pour enfoncer les portes d’un coup d’épaule ou enlever les gens à bout de bras. Il dut, paraît-il, à ce tempérament d’athlète quelques-unes des plus précieuses qualités qui le firent aimer de tous ceux qui l’approchaient : générosité, facilité, bonté de colosse joyeux. S’étant mis à fabriquer des pièces de théâtre et confectionner des romans, il se signale dans son métier par des prouesses, toujours gigantesques, de labeur infatigable et de production énorme. Il abat de l’ouvrage avec une verve intarissable, fait représenter soixante drames avec une belle humeur qui ne se dément jamais, y ajoute sans fatigue dix comédies et sans gêne trente romans, publie deux cent cinquante volumes, essouffle l’équipe de collaborateurs qui travaille sous sa direction, fait gémir les presses, alimente les scènes du boulevard, emplit le rez-de-chaussée des journaux, encombre les cabinets de lecture, envahit l’Europe, déborde sur l’Amérique, prend pour public la foule, se fait applaudir par des millions de spectateurs et trouve dans tous les pays du monde des lecteurs charmés, ravis, amusés, qui Usent ses livres et, sans entendre le