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français, comprennent tout de même la langue où ils sont écrits… Mais ce n’est ni à la taille de l’ouvrier, ni aux dimensions de l’œuvre, que se mesurent les écrivains. Prendre la toise ou le mètre pour unité de mesure littéraire, quand ce n’est pas une plaisanterie, est une faute de goût des plus regrettables. Aussi faut-il regretter vivement qu’elle ait été commise par ceux qui dirigent la collection, — d’ailleurs si recommandable et si justement estimée, — des études sur les Grands écrivains français, et par l’auteur qu’ils ont chargé d’écrire l’étude sur Alexandre Dumas père[1], M. Hippolyte Parigot, l’un des plus brillans professeurs de l’Université.

Pour nous faire apprécier en Dumas un émule de ses plus illustres contemporains, il est clair qu’il faut se placer à un point de vue assez spécial, et qui n’est pas ordinairement celui de la critique. Historiens des lettres, amateurs de théâtre, critiques de tout bord et de tout rang, ils avaient tous jusqu’ici salué en Dumas le plus « prodigieux » amuseur de son siècle, et, chaque fois qu’il s’était agi de célébrer la fertilité de son invention, ils n’avaient pas marchandé les superlatifs ; mais tous, et sans en excepter J.-J. Weiss lui-même, ils s’étaient obstinément refusés à voir en lui un écrivain. Il s’en est trouvé plusieurs aussi pour avancer qu’il avait un méchant style et que son tour d’esprit n’était pas sans vulgarité. M. Parigot dit son fait à cette « critique transcendante, sans fantaisie et qui ne sait pas sourire. » Cette critique « rebute l’imagination sous prétexte de science, mais en vérité par impuissance et sécheresse d’esprit. » Il n’est que d’appeler les choses par leur nom, et, en toute occasion, de remonter aux causes véritables. Le livre de M. Parigot pourra du moins nous donner quelque idée d’une critique qui n’est frappée ni d’impuissance ni de sécheresse, et de l’agrément que peuvent y répandre la fantaisie et le sourire.

M. Parigot a beaucoup d’esprit, et, comme il arrive souvent en pareil cas, il ne se lasse pas d’en avoir. Le caractère de la critique souriante semble être aussi de sourire sans interruption. Pas un instant elle ne perd le souci d’être agréable : pas une minute elle ne renonce à plaire. Chaque développement s’y relève par l’ingéniosité du tour, et chaque phrase s’achemine vers une malice. Dès les premières pages on apprend qu’Alexandre Dumas « ouvre les yeux au soleil de Thermidor, en attendant que son cerveau tropical s’échauffe sous le soleil d’Austerlitz. Il est en vérité un privilégié de la naissance : je veux dire

  1. Alexandre Dumas père, par Hippolyte Parigot. Les grands écrivains français, 1 vol. in-16 ; Hachette.