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Ainsi l’influence de Dumas se rencontre à l’origine du théâtre moderne, et elle consiste à y introduire les pires élémens ; on la retrouve par ailleurs au terme d’un autre genre, et au moment précis où celui-ci sort de la littérature pour entrer dans la production industrielle. Le roman historique avait ou chez nous une vogue considérable, et d’ailleurs fait une médiocre fortune littéraire. Nous n’avons rien de comparable à l’œuvre de Walter Scott, et nos meilleurs livres en ce genre ne sont pas excellens. Peut-être y a-t-il dans le mélange de l’historique et du romanesque quelque chose d’irrémédiablement faux où notre esprit, amoureux de précision et de franchise, se trouve mal à l’aise. Mais l’objet même du roman historique est de nous présenter l’évocation d’un tableau d’histoire qui reste exact quand bien même on y mêle des personnages ou des événemens imaginaires. La valeur de ce tableau dépend de celle des renseignemens recueillis par l’auteur, comme de l’intelligence avec laquelle il les interprète. Dumas se contente de ces indications sommaires qui pour des écoliers ont bien l’air de résumer toute la science, mais qui en fait ne sont rien ; le moyen âge : débauche et mystère ; la cour des Valois : astuce et superstition ; l’époque Louis XIII : duels et conspirations ; le style Louis XV : impertinence et libertinage. Puis ce sont les Mémoires hâtivement dépouillés ou les ouvrages apocryphes pillés de bonne foi, à moins pourtant que l’imagination ne supplée à tout. On nous conte que Dumas s’étant engagé à fabriquer un roman d’Ange Pitou sur des documens qu’on devait lui fournir, il n’eut pas les documens, mais il confectionna tout de même le livre : il n’est pas douteux que l’anecdote ne soit des plus significatives. Un autre mérite du roman historique est dans les descriptions. Mais Dumas connaît trop bien le public pour ignorer que la description ennuie : c’est l’action qui intéresse et encore l’action ; le lecteur n’est curieux que d’aventures, et Dumas l’en fournit à souhait. Le roman historique se vide donc de tous les élémens qui avaient élevé le genre en dignité pour retomber à l’état où on l’avait vu lors de ses plus modestes origines, entre les mains de La Calprenède lui-même, l’auteur gascon. Il redevient le roman de cape et d’épée, et il est tout prêt pour fournir à la consommation du roman-feuilleton.

Peut-être voit-on maintenant comment Dumas a pu avoir une grande influence sur les écrivains de son temps, sans être lui-même nullement un écrivain. Les qualités dont il était avec abondance pourvu sont de celles qu’on n’a aucun droit de confondre avec les qualités littéraires. Il avait le sens du théâtre qui faisait si complètement défaut à ses camarades romantiques : il l’avait à un degré