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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/481

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Triple Alliance ; les années se sont succédé ; un grande mortalis ævi spatium s’est écoulé : quel avantage l’Italie a-t-elle retiré de son adhésion à un système politique qu’elle avait cru devoir être rémunérateur ? Nous cherchons, nous ne trouvons pas. On a souvent répété que sa participation à la Triple Alliance l’avait obligée à augmenter ses forces militaires dans des proportions assez lourdes. M. de Bulow proteste contre cette allégation : il affirme que les contractans n’ont jamais eu à maintenir leurs forces militaires à tel ou à tel niveau déterminé. C’est un point sur lequel on est mieux fixé à Rome que nous ne pouvons l’être nous-mêmes : toutefois nous avons quelque peine à croire que M. de Bulow n’ait pas exagéré, quand il a dit que, sans la Triplice, tel pays, — et il désignait évidemment l’Italie, — se serait vu forcé de faire des efforts militaires encore plus grands, parce qu’il n’aurait pas appartenu à un groupe puissant. De sorte qu’en entrant dans la Triple Alliance, l’Italie serait entrée dans la voie des économies. En tout cas, elle n’est pas entrée dans celle des grands avantages politiques. Il ne pouvait d’ailleurs pas en être autrement, puisque, d’après la définition que M. de Bulow en donne à nouveau, la Triple Alliance « n’a pas été conclue en vue du gain : c’est seulement, a-t-il dit, une société d’assurance. » Mais l’Italie, dans le secret de sa pensée, l’avait-elle comprise autrement ? Il y a, dans le discours du chancelier de l’Empire, un passage qui mérite une attention particulière : il est évidemment empreint d’une extrême franchise. C’est celui où la Triple Alliance est présentée comme une sorte de reprise et de prolongement de la Sainte Alliance d’autrefois. « Elle constitue, dit-il, la conciliation de nos succès nationaux remportés dans les années 1866 et 1870 avec les principes de stabilité qui, après les guerres napoléoniennes, ont assuré la paix de l’Europe, pendant un demi-siècle, sur la base des traités de Vienne, » Et cela est parfaitement vrai, quoiqu’on ne l’eût pas encore avoué d’une manière aussi crue. Comment ne pas admirer ici, une fois de plus, l’habileté du prince de Bismarck, qui a trouvé le moyen de faire entrer dans l’Alliance l’Autriche pour consacrer définitivement entre les mains d’autrui la possession de toutes les provinces qu’elle avait perdues, et l’Italie pour qu’elle s’interdît formellement à elle-même d’en acquérir de nouvelles. La Triple Alliance n’a pas pour objet de faire des gains ! Non, certes : aussi n’avons-nous pas été étonnés d’y voir entrer les puissances qui disaient d’elles-mêmes, comme l’Allemagne, qu’elles étaient rassasiées. Que ces puissances fussent conservatrices, rien de plus naturel : mais les autres ? Notre surprise a commencé lorsque nous avons vu