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Cependant, cette liberté peut prêter à des commentaires divers, suivant la manière dont on en use ; et l’Italie en use en ce moment avec nous d’une manière qui ressemble si peu à celle d’autrefois, qu’on devait, non pas s’en alarmer, ni même s’en préoccuper, mais pourtant s’en occuper à Vienne et à Berlin. C’est ce qui est arrivé. Pendant les premiers jours, nous n’avons eu que l’opinion des journaux, et, quelque importance qu’elle pût avoir, celle des gouvernemens nous intéressait davantage. Nous avons été servis à souhait, et au-delà de nos espérances, sinon de nos désirs. Dès la rentrée du Reichstag allemand, M. le comte de Bulow s’est expliqué sur l’état des alliances européennes avec une abondance de détails, et même d’images pittoresques, tout à fait propre à donner quelque satisfaction à la curiosité générale. Telle a été du moins la première impression produite par son discours : on s’est aperçu ensuite, en lisant les commentaires de la presse, que ce discours n’était pas aussi clair qu’on l’avait cru au premier moment. Pour les uns, en effet, M. de Bulow a dit que la Triple Alliance était plus solide que jamais ; et, pour les autres, que, n’ayant plus la même utilité qu’autrefois, il serait possible qu’elle n’eût pas non plus la même solidité, sans que l’Allemagne, qui peut désormais s’en passer, eût beaucoup à la regretter. Il est vrai que le chancelier de l’Empire a dit un peu le pour et le contre, laissant la pensée hésitante sur ce que sont les choses aujourd’hui et sur ce qu’elles seront demain. Il y a mis d’ailleurs une désinvolture spirituelle qui a fait rire le Reichstag tout entier. M. de Bulow est un grand humoriste ; et, s’il traite toujours sérieusement les choses sérieuses, il aime aussi à les égayer par quelques saillies, montrant par là qu’il reste supérieur à son sujet et se plaît à en jouer. « Dans une union heureuse, a-t-il dit, le mari ne doit pas se fâcher, si sa femme fait quelques tours de valse bien innocens avec un autre que lui. Le tout est qu’elle ne lui échappe pas, et elle ne lui échappera pas, s’il lui donne tout ce qu’il lui faut. »

Tous les comptes rendus constatent que ce passage du discours de M. de Bulow a provoqué une hilarité générale. Mais, plus tard, des esprits chagrins ont fait remarquer que la valse n’avait pas été toujours innocente dans ses effets, même sur des ménages qui avaient paru bons jusque-là ; et d’autres, plus pratiques encore, se sont demandé si la Triple Alliance, à supposer que l’Italie en fût l’élément féminin, lui avait donné tout ce qu’il lui fallait. Et, au fait, que lui a-t-elle donné ? Rien du tout. Voilà un pays jeune, intelligent, plein d’imagination, plein d’ambition aussi, et d’une ambition légitime. Il est entré dans la