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(comme ils disent ici) et de christianisme… qui, en France, eussent été sifflées par notre jeunesse. Nous avons, en ce moment, dans notre cher grand pays, la maladie de l’incrédulité et du scepticisme ; c’est une vraie maladie ; nous en mourons. Les Allemands ne sont ni sceptiques ni matérialistes ; ces deux maladies n’atteignent pas la jeunesse ; elles ne sont qu’un luxe de quelques esprits. M. Renan serait sifflé dans les Universités allemandes ; son dilettantisme ne serait apprécié que comme un costume charmant, un de ces costumes de soirée qu’il faut voir à la clarté du gaz, mais qui ne supportent pas la grande clarté du jour.

L’élément religieux de l’Université de Leipzig m’a naturellement plus intéressé. Or, savez-vous, cher ami, combien d’étudians suivent la faculté de théologie ? Plus de 500. Vingt maîtres enseignent là. J’ai observé de près l’objet de leur enseignement, pour en mesurer l’étendue et la portée ; je l’ai comparé, en esprit, avec l’enseignement théologique supérieur qui est donné en France et que je connais bien ; et savez-vous quel est le résultat de mon observation et de ma comparaison ? C’est que, dans la seule faculté de théologie de Leipzig, allemande et protestante, il y a une activité de science religieuse supérieure à celle que je sais exister dans les 86 séminaires départementaux de France, y compris les quatre facultés de théologie de l’Etat : la Sorbonne, Bordeaux, Aix et Lyon. En France, la routine est partout, elle tue la science religieuse, qu’elle immobilise dans un enseignement uniforme que cent maîtres répètent comme des perroquets ; en Allemagne, le mouvement spontané et libre donne à la science religieuse un caractère progressif qui la met au niveau de la culture du temps ; et je suis très frappé ici de la considération qu’obtiennent, dans le monde lettré, les travaux, les ouvrages de science religieuse, qui, en France, n’ont pas le moindre crédit. Du reste, ils n’existent pas en France. La religion ne s’affirme que par son caractère politique ou cultuel : et, sur ce terrain, elle ne fait que s’attirer de nouveaux échecs. Ici, elle s’affirme sur le terrain scientifique, historique, philosophique, littéraire, avec un incalculable éclat ; et elle jouit, je vous l’assure, d’une très haute considération.

Mon voyage est évidemment plein d’utilité pour moi, et je rentrerai dans la patrie avec une gerbe bien pleine.

Je reçois votre petit mot d’inquiétude, cher ami, vous voyez