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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/616

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que j’ai hâte d’y répondre ; vous avez mon dernier mot de Leipzig.

Ecrivez-moi dorénavant à Berlin, poste restante. J’y serai le 18 mai. Je pars pour Halle, où je vais examiner, pendant deux jours, l’Université dans laquelle enseigna le professeur Hæckel, le célèbre disciple de Darwin.

Combien je regrette, mon ami, de n’être pas près de vous et de votre chère femme, à l’époque de la première communion de Jeanne ! J’eusse aimé à vous voir, en ce jour, donnant à votre fille l’exemple d’une foi qui est la meilleure part de notre grande vie humaine. Je me réserve pour la première communion de la petite Marie.

Adieu, je suis avec vous et avec les vôtres dans un sentiment de profonde amitié, et il me semble que ces feuilles, écrites dans la cave de Gœthe, ont été inspirées, non par l’Esprit noir qui inspirait Méphistophélès, mais par les Esprits qui ont sauvé Marguerite et…. Faust.

Adieu, je vous embrasse.


Berlin, 6 juin 1882.

Mon cher ami,

Je ne veux pas tarder de répondre à votre affectueuse sommation, à votre lettre si cordiale, et d’une philosophie trop modeste et trop résignée. Vous semblez rendre les armes, cher vaincu, à une destinée fatale qui n’est pas à la hauteur de vos aspirations infinies ; et on dirait que, pour vous, la Terre contient le dernier mot de votre vie. Non ; nous ne faisons ici-bas qu’un apprentissage. Il y a un feu divin dans notre poitrine que tous les réfrigérans de la réalité terrestre ne sauraient éteindre, et, quoi que vous en disiez, ce feu divin est en vous ; je le vois caché sous la cendre.

Bref, ami, je suis depuis quatre semaines à Berlin. Après avoir vu, à Leipzig, la Saxe douce et pacifique, hospitalière et avenante, j’observe ici la Prusse aux airs arrogans et durs. Mon vieux patriotisme a éprouvé une sorte d’angoisse, lorsque j’ai mis le pied sur le pavé de la ville où se sont trouvés les plans de nos désastres et qui porte partout les signes des colossales victoires des Prussiens. Je souligne ce mot, car on l’entend à chaque pas et sur toutes les bouches à Berlin. Les Allemands du Nord nous l’ont emprunté et ils le prononcent avec un accent ineffable : colossale, que je vous reproduirai, un soir, au retour