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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/640

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des autres et s’établirent à part. L’ancienne famille, si nombreuse et si complexe, fut remplacée par une famille plus restreinte, incapable de suffire aux occupations multiples d’autrefois. L’industrie domestique ne cessa pas absolument, du moins chez les riches, et l’on vit toujours des maisons où le travail du tissage et de la couture resta aux mains des esclaves. Mais, par cela seul que le groupe familial s’était rétréci, il dut s’alléger d’une bonne partie de sa tâche primitive. Dès lors se constituèrent en dehors de lui une multitude de métiers indépendans, si bien qu’on finit par aboutir à l’état de choses que Xénophon décrit en ces termes : « Dans les petites villes, ce sont les mêmes individus qui font les lits, les portes, les charrues, les tables, et souvent les habitations, trop heureux quand ils ont assez de cliens pour les employer. Au contraire, dans les grandes villes, où une foule de gens ont les mêmes besoins, on peut vivre d’une profession unique. Quelquefois même on n’en exerce qu’une partie : l’un fait des chaussures d’hommes, l’autre des chaussures de femmes, l’un coud les souliers, l’autre coupe le cuir ; l’un taille les tuniques, l’autre en ajuste les différentes pièces. »

D’autres causes aidèrent encore au progrès de l’industrie : la décadence des Phéniciens, qui avaient longtemps accaparé tous les marchés de la Méditerranée orientale et empêché toute concurrence ; la nécessité pour certaines cités de compenser l’infériorité d’un territoire trop étroit ou trop stérile ; le désir chez quelques-unes d’utiliser les avantages que leur offrait soit leur situation maritime, soit la proximité d’un gisement minier ou d’une carrière ; l’amour croissant du bien-être et même du luxe ; et, par-dessus tout, les qualités innées du peuple grec, si ingénieux, si éveillé, si prompt à s’assimiler, en les perfectionnant, les procédés de ses voisins.

Il y eut des cas où l’aristocratie elle-même prit l’initiative de ce mouvement d’expansion industrielle et commerciale ; tel fut notamment son rôle à Corinthe. Mais, en général, elle refusa de s’y associer, par routine, par mépris du travail, par inintelligence de l’évolution qui s’accomplissait, et elle laissa le champ libre à la basse classe. Les roturiers, étant à peu près exclus de la possession du sol, profitèrent de l’abstention des nobles pour s’emparer d’un domaine qu’on ne leur disputait pas ; ils se jetèrent avec empressement dans la voie qui leur était ouverte, et ils y rencontrèrent à leur tour la richesse. Il s’ensuivit une